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LE POÈTE.

thème baroque emprunté à quelqu’un de ces contes d’une moralité naïve et grossière dont on se délectait, tout en tremblant, dans les veillées campagnardes du moyen âge. Si les mots ont parfois une saveur un peu épicée, si l’expression vise à une originalité qu’elle atteint presque toujours, le vers est bon, solide et ne fait pas trop le grand écart sous prétexte d’enjambements hardis ; il est jeune — quel joli défaut ! — mais, à le voir vigoureux et fringant, on devine que la maturité le saisira bientôt pour lui donner cette forme robuste et saine qu’il n’abdiquera jamais. J’ai pris grand plaisir à relire Albertus ; c’est bien le poème de la prime jeunesse, de l’âge des audaces, des escalades et de l’infatigable ardeur. Gautier en parlait avec une sorte de tendresse paternelle ; il l’aimait, un peu comme l’on aime ces vieux airs, entendus aux heures de l’enfance et qui réveillent des souvenirs où l’âme retrouve de chères impressions.

À d’autres points de vue, ce poème est intéressant, car il reproduit les idées ambiantes de l’époque. Gautier venait de sortir de l’atelier de Rioult, mais ce n’est pas à cela qu’il faut attribuer l’abus des noms de peintre qui se rencontrent dans Albertus, — six dans les trois premières strophes. — Le cénacle avait rêvé d’unir la littérature et la peinture ; mariage de raison que le divorce rompit bientôt et devait rompre, car la genèse et les procédés de ces deux arts, le but qu’ils cherchent à atteindre, l’impression qu’ils peuvent produire offrent de telles