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LE POÈTE.

taires, les yeux levés vers le ciel, se sont cru guidés par une étoile et n’ont suivi qu’un feu follet. Ce ne fut pas le cas pour Gautier, qui était un mage de la poésie ; l’astre qu’il avait vu briller à l’aube de son printemps n’avait rien perdu de son éclat au crépuscule de son automne ; l’astre était moins rouge peut-être, moins « truculent », aurait-il dit, mais d’une lueur plus étincelante, persistante et nimbé de rayons d’or.

En poésie, le véritable début de Théophile Gautier fut Albertus, un poème fantastique, qui fit du bruit en son temps et qui est le gage d’adhésion qu’il donna au romantisme. Le volume est daté de 1832 ; les vers en ont été composés au cours de l’année précédente ; le poète avait donc vingt ans : c’est aussi l’âge du poème. Le choix seul du sujet indique la date, on ne s’y peut méprendre. Gautier a raconté, dans les Jeune-France, l’histoire de Daniel Jovard, classique convaincu qui se convertit au romantisme et se fait hugolâtre, après avoir été baptisé au nom des Odes et Ballades, de la préface de Cromwell et de Hernani. Avant d’avoir reçu le coup de foudre, il s’écrie :

Ô muses ! chastes sœurs, et toi, grand Apollon,
Daignez guider mes pas dans le sacré vallon ;
Soutenez mon essor, faites couler ma veine.
Je veux boire à longs traits les eaux de l’Hippocrène.

Mais aussitôt — mort et damnation ! — qu’un souffle vertigineux a pénétré sa poitrine d’homme, il change de ritournelle ; il déserte le chœur mené