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LE CONTEUR.

et elle lui raconte des histoires dont presque toujours il est le héros ; histoires gaies, tendres ou terribles, histoires des temps oubliés ou des temps à venir ; au hasard de la fantaisie elle mène le poète dans des milieux, dans des époques, dans des pays différents. Retombé sur terre, le poète se souvient de ces aventures qu’il vient de traverser sur les ailes de la chimère ; il les écrit, peut-être pour prolonger le charme qu’il a éprouvé : une nouvelle est faite et le public applaudit. Gautier a été Fortunio, il a été Tiburce, il a été l’abbé Romuald, il a vu Omphale venir vers lui, il a été Octavien rêvant dans les rues de Pompéi, cet Octavien qui s’était composé un harem idéal avec Sémiramis, Aspasie, Cléopâtre, Diane de Poitiers, Jeanne d’Aragon et quelques autres belles dames du temps jadis.

C’est parce qu’elles ont été un épisode de sa vie intellectuelle que ses nouvelles sont simples, presque sans incidents, émues néanmoins et communiquant l’émotion dont elles palpitent. À cela on peut reconnaître celles qui sont nées de sa rêverie. Parfois le même fantôme est venu le visiter à long intervalle ; la Clarimonde de la Morte amoureuse qui l’a reçu pour la première fois en 1836, se souvient de lui en 1852 et lui apparaît sous le nom d’Aria Marcella. Je crois qu’il serait exact de dire que ses maîtresses les plus chères ont été les grandes courtisanes, les reines, les princesses qui habitaient son cerveau et se substituaient peut-être, jusqu’à l’illusion, à des réalités décevantes : dans certains cas, le rêve éveillé