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LE CONTEUR.

poésie. Le souvenir du premier gîte, du château de la Misère si extraordinairenient dessiné, peint avec une vigueur si poignante, domine tout le récit ; on devine que le chevalier qui en est sorti pauvre sur son vieux cheval, escorté par son chien et son chat attristés, accompagné pendant la première étape par le serviteur de sa première enfance, y rentrera quelque jour et y sera reçu par le bonheur et la fortune ; on comprend qu’il échappera aux embûches, fera tête au destin, triomphera des obstacles, et l’on sait gré à l’auteur d’un récit où l’on ne rencontre ni les tristesses, ni les préoccupations, ni les laideurs quotidiennes. Quel service plus grand peut-on rendre à ceux pour qui l’existence est grise et pesante ? Ah ! que George Sand a eu raison de dire : « Nous sommes une race infortunée et c’est pour cela que nous avons un impérieux besoin de nous distraire de la vie réelle par les mensonges de l’art ; plus il ment, plus il nous amuse. »

Dans l’œuvre de Gautier, le Capitaine Fracasse est d’une contexture exceptionnelle ; le roman a été composé, « machiné » ; ce n’est pas seulement un meuble en marqueterie, comme on l’a dit, c’est un meuble exécuté sur un plan médité et dont toutes les |)arties ont été préalablement dégrossies avant d’être sculptées par la main de l’artiste. Le fait est à retenir, car Gautier est bien moins un romancier qu’un conteur ; la plupart de ses nouvelles, Fortunio entre toutes, représentent la cristallisation de son propre rêve. Cela ne doit pas surprendre, cela ne