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LE CONTEUR.

abandonné, continué, délaissé, modifié dans le plan général, repris et enfin terminé, ce roman ne fut publié que vingt-cinq ans plus tard, après avoir été écrit au fur et à mesure des exigences de la Revue nationale qui le fit paraître sans interruption, du 25 décembre 1861 au 10 juin 1863. « C’est une lettre de change tirée dans ma jeunesse et que j’ai acquittée dans mon âge mûr », a dit Gautier. Largement acquittée, en effet, avec les intérêts composés. Dans l’œuvre en prose de Gautier, ce roman tient la place la plus considérable ; la Revue nationale étant un recueil bimensuel, l’auteur eut, pour le faire, le temps matériel qui si souvent lui manqua, et s’y complut. Rien ne retenait son imagination, il put lui donner la volée, il en profita. Ce fut une sorte de repos dans son labeur et, comme il le disait lui-même en souriant, une oasis dans le désert du journalisme dramatique. Il aima les personnages qu’il créait, cela est visible ; il s’attarde avec eux et place leur première rencontre dans les campagnes du pays natal, entraîné peut-être par un de ces souvenirs d’enfance chers à ceux que l’ombre de l’âge va bientôt atteindre et pour qui la vie a été sans clémence. Nul livre cependant n’est plus impersonnel ; la date même en pourrait rester indécise ; qui régnait en France lorsqu’il a été écrit : le fils de Marie de Médicis ou le fils de la reine Hortense ? On en pourrait douter, car si, malgré une certaine tendance à rechercher la langue de la première période du xviie siècle, on sent à chaque ligne la maturité d’un maître contemporain,