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LE CONTEUR.

un rôle dont elle devait être surprise et de mentir à l’amour en le réduisant à n’être — sans plus — que l’union des cœurs. Les esprits s’efforçaient de planer dans une sorte d’éther à la fois très pur et satanique, qui ne fut pas sans laisser quelque trace de ridicule sur bien des romans et bien des vers de ce temps-là. Il semblerait que Gautier eût voulu ramener vers les splendeurs de la terre une littérature qui s’égarait dans les images d’une fausse sentimentalité et d’un délire platonique, où elle ne trouvait que le vide et la boursouflure. Le livre n’en fut pas moins accusé d’être d’un sensualisme dévergondé et l’on n’en parla qu’en baissant les yeux. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans les jugements du monde ; on y loue, avec des mines extatiques, des œuvres que, par bon ton, on a épelées en bâillant, et l’on détourne la tête, avec un geste réprobatif, en entendant prononcer le titre d’un roman que l’on a dévoré en cachette avec une curiosité surexcitée, sinon avec dépravation. Les femmes excellent à ce manège ; ce sont elles, en général, qui font le succès de ce que l’on nomme la littérature légère ; le livre qu’elles lisent n’est jamais sur leur table ; il est dans le tiroir, à moins qu’il ne soit sous l’oreiller.

Fortunio, publié dans le Figaro de 1837, que dirigeait Alphonse Karr, n’apaisa point la rumeur qui s’était élevée autour de Mademoiselle de Maupin ; au contraire, et l’accusation d’immoralité retentit de plus belle. Fortunio est une espèce de maharadjah hindou, fabuleusement riche, qui vient à Paris expéri-