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THÉOPHILE GAUTIER.

recherche passionnée de la beauté abstraite ; car Gautier a singulièrement idéalisé la virago qui lui a servi de modèle. Mademoiselle de Maupin n’est point une personne imaginaire ; elle fut célèbre à la fin du xviie siècle et le souvenir n’en était pas encore effacé au temps de mon enfance. Elle était fille d’un secrétaire du comte d’Armagnac, s’appelait d’Aubigny, épousa un commis aux aides, nommé Maupin, qu’elle quitta promptement pour courir la prétentaine avec un maître d’armes qui en fit une bretteuse de première qualité. Tantôt vêtue en homme, tantôt vêtue en femme, très jolie, hardie, ayant toute sorte de goûts baroques, elle mit le feu à un couvent et y enleva une religieuse pour laquelle elle ressentait quelque amitié. De grand air, douée d’une voix charmante, elle débuta à l’Opéra, où elle eut des succès en chantant la musique de Lulli. Elle avait l’épée dangereuse, car à la suite d’une querelle de bal masqué elle accepta trois duels immédiats, et tua, dit-on, ses trois adversaires. De Paris elle se rendit à Bruxelles, où elle fut la maîtresse du comte Albert de Bavière. Quelque scandale la fit expulser de Belgique, elle alla en Espagne, revint en France, se vit dédaignée par le public qui naguère l’avait acclamée, et entra dans un couvent, où elle finit ses jours en 1707, à l’âge de quarante-quatre ans.

Si les Jeune-France sont une protestation contre les sottises extérieures de romantisme, on peut dire que Mademoiselle de Maupin est un essai de réaction contre la manie qui régnait alors de faire jouer à l’âme