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LE CONTEUR.

et leur restitua le droit de cité dans les lettres, en les employant avec justesse et sagacité. Par là il a rendu un important service à la langue, que l’usage des mots exclusivement adoptés par « le monde », que l’habitude de ne point désigner les choses par leur nom mais par des métaphores, que la convention, en un mot, avait singulièrement appauvrie. Il se soucia peu de heurter « les convenances », mais il se soucia de parler français, et l’on peut reconnaître qu’il y a réussi. Il y a même réussi sans effort, car il écrivait avec une facilité extraordinaire.

Cette facilité se dénonce d’elle-même sur ses manuscrits. L’écriture petite, arrondie, bien formée, court sans hésiter, presque sans rature, depuis le premier jusqu’au dernier feuillet ; elle indique un homme sûr de sa pensée et de sa forme. Il sait toujours ce qu’il veut dire, comment il veut le dire ; il n’a plus à s’occuper que de la besogne matérielle, car l’œuvre est faite. On disait un jour à Racine : « À quoi travaillez-vous maintenant ? — Je viens de terminer une tragédie. — Quand la ferez-vous représenter ? — Bientôt ; je n’ai plus qu’à l’écrire. » Gautier en aurait pu dire autant. Il considérait la facilité dans la production littéraire comme un indice de talent ; dès 1835, dans son étude sur Scudéry, il avait formulé son opinion à cet égard : « Un des premiers dons du génie, c’est l’abondance, la fécondité. Tous les grands écrivains ont produit énormément, et il n’y a jamais eu de mérite à rester fort longtemps à faire peu de chose, quoi qu’en puissent dire