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THÉOPHILE GAUTIER.

n’ait pas été ménagé dans cette clameur de haro classique ; sa longue chevelure, son caban soutaché, son chapeau de forme hétérodoxe le désignaient à des yeux prévenus ; aussi devint-il le bouc émissaire des péchés du romantisme, on lui prêta toute sorte d’énormités dont il ne se rendit jamais coupable, et il fut considéré comme le démolisseur patenté de la langue française, de cette langue qu’il devait honorer par tant de savoir, d’exactitude et d’élégance. À entendre ses détracteurs qui, de bonne foi, se donnaient pour les gens de goût par excellence, c’était un écrivain fougueux, emporté, poussant jusqu’à l’absurde la recherche de l’étrange, jetant les substantifs par les fenêtres, déshonorant les adverbes et s’ingéniant à créer des mots baroques afin de mieux insulter aux traditions révérées. Cette accusation d’être un néologue incorrigible fut souvent portée contre Théophile Gautier ; a-t-elle pris fin aujourd’hui ? je n’en répondrais pas, car elle résulte d’une erreur, et, dans certains pays, les erreurs ont la vie dure. En telle matière, on serait imprudent d’être trop affirmatif, cependant je crois qu’il n’a jamais eu besoin d’inventer un mot nouveau ; ceux qu’il savait lui suffisaient amplement. Son « dictionnaire » était d’une inconcevable richesse, il n’ignorait aucun vocable ; dans ses lectures qui, à peu de choses près, ont embrassé l’ensemble des œuvres littéraires françaises depuis la Renaissance, il avait recueilli des mots expressifs tombés en désuétude, à peine connus des savants, ignorés du public ; il les avait ressuscités