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LE CONTEUR.

teurs de Marmontel, père de Denys le tyran, et de La Harpe, fabricant d’un Philoctète qui n’a pas fait oublier celui de Sophocle, cette opinion paraît avoir été générale. On parlait du dévergondage de son style, on l’accusait de mettre la langue française à la torture et de l’écarteler. Il en est ainsi toutes les fois que la passion affole les gens superficiels, qui sont si nombreux, qu’on peut les appeler légion. Tout esprit de justice disparaît alors ; on le vit bien, à cette époque, quand on reprocha aux vers de Victor Hugo d’être grossiers, disloqués, rugueux et quand on répéta avec applaudissement cette épigramme, qui fut célèbre et dont le lecteur se souvient peut-être :

Où donc, Hugo, juchera-t-on ton nom ;
Justice enfin que faite ne t’a-t-on ?
Quand donc au corps qu’académique on nomme
Grimperas-tu de roc en roc, rare homme ?


Accès de mauvaise humeur, qui sans doute se dissipa promptement ? Non pas ! Trente ans après la bataille de Hernani, de Pongerville, auteur d’une traduction en vers de Lucrèce, parlait encore de « la terreur du mauvais goût » et de « cet interrègne des arts où la démagogie littéraire outrageait, renversait toutes les gloires passées et proscrivait le talent qui tentait de suivre les traces de nos maîtres[1] ».

On conçoit, d’après cela, que Théophile Gautier

  1. Voir Nouvelle Biographie générale, publiée par Firmin Didot frères, t. IV, p. 376.