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THÉOPHILE GAUTIER.

raconter minutieusement les péripéties des courses de taureaux sans jamais tomber dans l’outrance et la trivialité : s’il assiste à un spectacle fait pour lever le cœur de dégoût, il se contente de dire : « Le dernier taureau fut abandonné aux amateurs, qui envahirent l’arène en tumulte, et le dépêchèrent à coups de couteau ; car telle est la passion des Andalous pour les courses, qu’il ne leur suffit pas d’en être spectateurs, il faut encore qu’ils y prennent part, sans quoi ils se retireraient inassouvis. » Si un tel fait avait été reproduit par Lottin de Laval, Alphonse Brot, Pétrus Borel, quelle orgie d’épithètes et quelle d’ébauche de superlatifs ! Gautier, initié à toutes les ressources de l’art d’écrire, savait que l’exagération de l’expression en neutralise l’énergie et en atténue l’effet.

Aujourd’hui que les passions littéraires et les disputes d’écoles sont apaisées jusqu’à l’affaissement, on reste surpris de la modération croissante de Gautier, car elle ne concorde guère avec la renommée que les ultra-classiques de son temps lui ont faite. À l’époque peu regrettée où j’étais encore au collège, un de nos professeurs, helléniste érudit et de quelque notoriété, causait parfois avec nous des « novateurs intempérants » — c’était son mot — qui jetaient des ballades dans le jardin de Le Franc de Pompignan. Un jour on lui demanda ce qu’il pensait de Théophile Gautier ; il lit la grimace et répondit : « Je n’en pense rien, car je n’ai pas encore eu le loisir d’apprendre l’iroquois. » Parmi les secta-