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LE VOYAGEUR.

ardent à toutes les curiosités, sans lourdes charges dans sa vie, sans regret du passé, sans inquiétude pour l’avenir et que son talent semblait mûr pour toute espérance. Aussi l’Espagne lui resta chère ; souvent, entre deux feuilletons, il s’échappait, traversait les Pyrénées, humait l’air des sierras, assistait à une course de taureau, et, vivifié par cette fugue en contrée amie de son rêve, il reprenait moins péniblement sa tâche de tous les soirs au théâtre, de toutes les semaines au feuilleton.

Lorsque, au mois d’octobre 1840, il débarque à Port-Vendres, il comprend qu’il laisse derrière lui quelque chose qu’il ne retrouvera plus : « Vous le dirai-je ? En mettant le pied sur le sol de la patrie, je me sentis les larmes aux yeux, non de joie, mais de regret. Les tours vermeilles, les sommets d’argent de la sierra Nevada, les lauriers-roses du Généralife, les longs regards de velours humides, les lèvres d’œillet en fleur, les petits pieds et les petites mains, tout cela me revint si vivement à l’esprit, qu’il me sembla que cette France était pour moi une terre d’exil. Le rêve était fini. » Regret de poète qui voudrait revoir les horizons et les vestiges des mondes évanouis qu’il a admirés. En notant cette impression de tristesse, bien connue des voyageurs, Gautier oublie que quinze jours auparavant, dans une auberge de Carmona, il s’est attendri à la vue de quelques lithographies coloriées représentant des scènes de la révolution de Juillet : « C’était un petit morceau de France encadré et suspendu au