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LE VOYAGEUR.

geais à ce contraste si frappant de la foule du cirque et de la solitude du théâtre, de cet empressement de la multitude pour le fait brutal et de son indifférence aux spéculations de l’esprit. Poète, je me suis mis à envier le gladiateur ; je regrettai d’avoir quitté l’action pour la rêverie. La veille, l’on avait joué une pièce de Lope de Vega qui n’avait pas attiré de monde : ainsi le génie antique et le talent moderne ne valent pas un coup d’épée de Montés ! »

Horace n’a jamais regretté de n’être pas andabate, bestiaire ou mirmillon, et il a écrit : Odi profanum vulgus et arceo. N’est-ce donc rien que de se survivre, et Gautier, parlant ainsi, ne voit-il pas qu’il lâche la proie pour l’ombre ? Le coup d’épée du torero, « l’âme » de la chanteuse, l’ut de poitrine du ténor, la grimace du pitre, le geste du tragédien, le flic-flac de la danseuse, l’intonation des voix d’or, la démarche des Phèdres, la fureur des Camilles, le sourire des Célimènes soulèvent l’admiration du public, qui voudrait porter en triomphe ceux auxquels il doit quelques minutes d’émotion. Gladiateurs et virtuoses, mimes et déclamateurs ont eu leur jour ; ce jour passé, tout est fini pour eux. La mort met l’épée au fourreau, éteint la voix, brise le geste, interrompt l’entrechat ; rien ne reste, pas même un souvenir certain, car la parole est impuissante à faire comprendre la cause des ovations et de l’éphémère célébrité. Un quatrain, une page de prose, un tableau, une statuette suffisent à immortaliser un homme. La vraie gloire est celle qui subsiste en gardant ses