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THÉOPHILE GAUTIER.

sante qu’elle est de plus courte durée. L’enthousiasme des foules est comme la foudre qui fait beaucoup de bruit, s’apaise et ne laisse trop souvent que des ruines derrière elle. Montés a été le roi du jour ; il était l’idole de l’Espagne, on s’honorait de porter ses couleurs, et des femmes, que la destinée réservait à des trônes, le faisaient asseoir près d’elles, dans leur voiture, après la course. De Santander à Tarifa, de Salamanque à Tortose, pas un cœur qui ne battît pour lui ; il a eu tous les enivrements ; il a pu se croire le héros national et se comparer à Bernard de Carpio. Gautier, blasé cependant sur les succès de théâtre ou d’arène, dont il a été si souvent le témoin, est profondément ému des ovations faites au torero et il le dit avec sa bonne foi ordinaire : « Pour de pareils applaudissements, je conçois que l’on risque sa vie à chaque minute ; ils ne sont pas trop payés. » Soit ; je ne chicanerai pas, quoique ce ne soit pas l’envie qui me manque ; mais j’estime que Gautier a été trop loin et qu’il a dépassé sa propre pensée, lorsque, parlant de la minute où le torero est face à face avec le taureau, il écrit : « Il est difficile de rendre avec des mots la curiosité pleine d’angoisse, l’attention frénétique qu’excite cette situation, qui vaut tous les drames de Shakespeare. » Est-ce tout ? Non pas ; il faut que l’impression ait été d’une singulière violence, pour que le poète, ce délicat, cet amoureux des belles images et des rimes précieuses, ait fait l’aveu que voici, en sortant du théâtre de Malaga : « Je son-