nation. En y assistant, Gautier ne se tient pas de joie ; il est « empoigné », comme l’on dirait aujourd’hui ; ni la longue attente, ni le soleil torride n’atténuent sa curiosité ; il s’associe aux émotions de la foule et, ainsi qu’elle, il s’enivre de carnage. Cet homme dont la douceur était proverbiale, ce poète dont l’intelligente mansuétude respectait toutes les manifestations de la vie, même dans les fleurs qu’il lui répugnait d’arracher de leur tige, ce philosophe, à qui la violence faisait horreur, est saisi d’admiration pour le sanglant spectacle ; il exulte, il bat des mains ; lui aussi, il est haletant et, selon les péripéties de la lutte, il crie : Bravo toro ! ou Bravo torero ! Contradiction étrange, qui s’explique par l’extrême développement du sens artiste, par l’attrait d’un drame où lien n’est fictif, par l’enthousiasme qu’inspire le courage, même lorsque le courage est inutile et cruel.
Toutes les fois que, pendant son voyage, Théophile Gautier peut assister à une course, il n’y manque pas et il se raille volontiers des moralistes doucereux et sentimentaux — dont je suis — qui blâment le goût de ce divertissement barbare ; il a pris soin de souligner ces deux derniers mots, afin de prouver en quel mépris il tient les « bourgeois » qui ne reculent pas devant de si pitoyables lieux communs pour exprimer la niaiserie de leurs pensées. Il voyage jour et nuit, il double les étapes, afin d’arriver en temps opportun à Malaga où l’on prépare des courses qui promettent d’être pleines d’in-