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LE VOYAGEUR.

gasins de confection « pour hommes et pour femmes », aidés par les chemins de fer, ont fait de l’uniformité de la teinte, de la coupe et de l’étoffe, le principal objet de leur exportation. Toute l’Europe s’habille de la même manière ; est-ce pour cela qu’elle est si laide ? « C’est un spectacle douloureux, dit Théophile Gautier, pour le poète, l’artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l’uniformité la plus désespérante envahir l’univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. « Et plus loin : « Il deviendra impossible de distinguer un Russe d’un Espagnol, un Anglais d’un Chinois, un Français d’un Américain. L’on ne pourra même plus se reconnaître entre soi, car tout le monde sera pareil. Alors un immense ennui s’emparera de l’univers et le suicide décimera la population du globe, car le principal mobile de la vie sera éteint : la curiosité. » On n’en est pas encore au suicide, on en est seulement au pessimisme, qui est le bâillement de l’esprit ; mais, n’en déplaise aux mânes de Gautier, je crois que le costume n’y est pour rien.

Si, pour plus de commodité dans l’existence quotidienne, par économie peut-être, à coup sûr par esprit d’imitation, l’Espagne s’est peu à peu détachée des mœurs des ancêtres, elle retrouve ces mœurs tout entières, elle les ressuscite farouches, étincelantes, orientales dans les courses de taureaux qui sont comme un besoin du peuple et une gloire de la