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LE VOYAGEUR.

prisme déformant de la poésie. Si l’Espagne était restée sous la domination arabe, elle n’eût jamais connu les gloires de Charles-Quint. Puisque Mahomet a été « le sceau » des prophètes et que le Koran est la dernière révélation que Dieu ait daigné faire à l’humanité, les peuples qui se tournent vers la Mecque en invoquant Allah, sont condamnés à l’immobilité, c’est-à-dire à la décadence, à la défaite, à la soumission. Si Charles Martel, Jean Hunyade, Sobieski n’avaient vaincu les musulmans dans les champs de Poitiers, de Choczim et devant les murs de Vienne, l’Europe vivrait probablement aujourd’hui sous la loi du Koran ; pour mieux dire, elle dormirait, fataliste, veule, sans souvenir de la veille, sans souci du lendemain et se croirait quitte de tout devoir après avoir égrené son chapelet en énumérant les quatre-vingt-dix-neuf attributs de Dieu. Il est bon d’admirer l’architecture arabe, mais il faut admettre que les nations ne vivent pas que de colonnettes, de stalactites sculptées et d’archivoltes brodées en stuc.

Théophile Gautier, qui alors n’avait visité ni l’Algérie, ni le Caire, se figurait la vie arabe tout autre qu’elle n’est et surtout qu’elle n’était. À défaut de la réalité, il essaya de s’en donner l’illusion et il obtint d’habiter l’Alhambra, d’y dormir, d’y vaguer comme en son propre palais. Son imagination ne se fit faute, sans doute, de le peupler à sa guise et de s’y donner des fêtes où les almées dansaient l’abeille au son du derbouka et de la flûte à deux branches,