Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
THÉOPHILE GAUTIER.

Ceux qui ne sont pas de véritables voyageurs, c’est-à-dire qui n’ont pas voyagé pour voyager, sans autre intérêt que celui de leur culture intellectuelle, sans autre passion que le besoin de voir, ne me comprendront pas ; mais, après quarante-six ans, je ne puis me rappeler sans battement de cœur ma première journée de marche en Asie Mineure, lorsque j’allais de Smyrne à Éphèse et que je m’arrêtais à chaque pas, pour contempler les caravanes, les vols de cigognes, les tortues flottant sur le Mélès et les bois de pins parasols. Ces émotions que le souvenir garde en les embellissant, Théophile Gautier les a ressenties ; à certaines heures de sa course en Espagne, il eut des tressaillements et des vibrations qu’il a notés. Malgré le calme qu’il s’efforçait de conserver en toute occurrence, il ne peut s’en tenir. Il ne reste pas maître de son exaltation et il s’écrie : « J’étais réellement enivré de cet air vif et pur ; je me sentais si léger, si joyeux et si plein d’enthousiasme, que je poussais des cris et faisais des cabrioles comme un jeune chevreau ; j’éprouvais l’envie de me jeter la tête la première dans tous ces charmants précipices si azurés, si vaporeux, si veloutés ; j’aurais voulu me faire rouler par les cascades, tremper mes pieds dans toutes les sources, prendre une feuille à chaque pin, me vautrer dans la neige étincelante, me mêler à toute cette nature et me fondre comme un atome dans cette immensité. »

C’est bien cela, c’est bien cette joie extraordi-