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THÉOPHILE GAUTIER.

quences de causes imperceptibles ; il fait la leçon aux peuples et leur montre du doigt la route qu’ils ont à suivre ; tout poète, dit-on, se double d’un prophète ; il déchire les voiles qui couvrent les arcanes de l’avenir ; il vaticine ; hélas ! les destins n’ont point écouté ses paroles.

J’imagine que c’est l’intensité même de l’impression qui a maintenu Gautier dans la ligne étroite, mais féconde, dont il n’est pas sorti. Cette impression n’a été si profonde, si absorbante que parce qu’elle était, pour lui, une révélation de la nature, qu’il ne connaissait que très imparfaitement avant d’avoir abordé les premiers contreforts des Pyrénées. Ceci, je crois, n’a rien d’exagéré, et je m’explique. Enclos dans un mode de vivre relativement restreint, limité aux boulevards, aux théâtres, aux réunions d’amis, aux discussions littéraires, aux dîners en compagnie joyeuse ou renfrognée, Gautier n’était, pour ainsi dire, jamais sorti de Paris. Les ormeaux qui abritaient alors les promenades publiques, les marronniers du jardin des Tuileries, les taillis maigrelets du bois de Boulogne et du bois de Vincennes, l’herbe lépreuse des Champs-Élysées, représentaient une nature citadine et laide, déplaisante aux yeux, vieillotte, fanée, sans renouveau ni printemps, bien en rapport du reste avec la ville, qui était, sous le règne de Louis-Philippe, une des plus sales, une des plus tortueuses, une des plus insalubres de ce bas monde. Les Parisiens d’aujourd’hui, qui jouissent des admirables travaux dus au baron