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LE VOYAGEUR.

qui sait où se fixer, qui perçoit simultanément l’ensemble et le détail, la ligne et la couleur, qui emmagasine l’image contemplée et ne l’oublie jamais. Parfois il en arrive, par l’intensité même de la sensation éprouvée, à une transposition d’art ; le ut pictura poesis a été vrai pour lui, plus peut-être que pour tout autre. Du reste, il le proclame lui-même. Il s’excuse d’avoir donné quelques détails historiques sur la cathédrale de Tolède, presque comme d’une faute, tout au moins d’un entraînement involontaire, et il ajoute : « Nous ne sommes pas coutumier du fait, et nous allons revenir bien vite à notre humble mission de touriste descripteur et de daguerréotype littéraire. »

Quoique son érudition soit profonde, il ne la laisse point transparaître ; on dirait qu’il redoute de passer pour un pédant et que la tâche qu’il s’est imposée consiste simplement à raconter ce qu’il voit. Si, sur sa route, il rencontre quelque beau coléoptère, il ne s’inquiétera pas de savoir s’il a trois, quatre ou cinq articles au tarse, mais il constatera que ses élytres semblent taillés dans une émeraude ; s’il cueille une fleur, il lui importe peu qu’elle soit monogyne ou polygyne ; mais il dira, comme le Perdican d’Alfred de Musset : « Je trouve qu’elle sent bon, voilà tout. » Il écarte avec soin tout ce qui aurait l’air de ressembler à des expressions techniques, et il a raison, car la généralité des lecteurs ne les comprend pas ; c’est pourquoi il est très sobre d’archéologie, ce qui est digne d’éloge chez un apôtre de l’école romantique