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LE VOYAGEUR.

incestes, ni de l’emphase, ni des anachronismes, ni des cacophonies ; on ne doutait de rien, pas même des petits soupers de Lucrèce Borgia. Les fantaisies les plus singulières des dramaturges, justifiées par la tradition des tolérances admises pour les œuvres destinées à la scène, étaient acceptées sans protestation par le public, qui trouvait tout simple que la femme d’Alphonse d’Este fît tuer un mari tous les soirs et quelques amants tous les matins. Je n’ai pas à dire que Théophile Gautier riait dans sa moustache de ces exagérations furibondes, mais il n’en subissait pas moins un attrait irrésistible vers les pays qui servaient de décors à toutes ces « machines », fabriquées d’invraisemblances, d’oripeaux, de faux sentiments et dont il ne subsistera bientôt que le souvenir, — s’il subsiste.

Un hasard permit à Gautier de faire enfin ce voyage d’Espagne dont le désir l’obsédait. Il était lié, depuis plusieurs années déjà, avec Eugène Piot, qui possédait pour tout ce qui concerne « les objets d’art et de curiosité », ainsi que disent les catalogues de l’hôtel des ventes, une instruction précise dont la sûreté n’était jamais en défaut. Il pouvait ignorer que Pandolfo Malatesta fit assassiner le comte Ghiazzolo dans le château de Roncofreddo, mais il connaissait certainement le nom de son armurier, la forme de son épée et la devise qu’il avait fait graver sur la lame. Dans diverses circonstances il a donné preuve d’un savoir spécial dont on est resté surpris. Grand amateur de « curiosités », les achetant bien, les ven-