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SOUVENIRS LITTÉRAIRES.

de bonnes choses, mais je me demande toujours à quoi bon ? C’est d’autant plus drôle que je ne me sens pas découragé ; je rentre, au contraire, plus que jamais dans l’idée pure, dans l’infini. J’y aspire ; il m’attire ; je deviens brahmane, ou plutôt je deviens un peu fou. Je doute fort que je compose rien cet été. Si c’était quelque chose, ce serait du théâtre ; mon conte oriental est remis à l’année prochaine, peut-être à la suivante et peut-être à jamais. Si ma mère meurt, mon plan est fait : je vends tout et je vais vivre à Rome, à Syracuse, à Naples. Me suis-tu ? Mais fasse le ciel que je sois un peu tranquille ! Un peu de tranquillité, grand Dieu ! un peu de repos ; rien que cela, je ne demande pas de bonheur. Tu me parais heureux, c’est triste. La félicité est un manteau de couleur rouge qui a une doublure en lambeaux ; quand on veut s’en recouvrir, tout part au vent, et l’on reste empêtré dans ces guenilles froides que l’on avait jugées si chaudes. »

Quatrième lettre. — « L’ennui n’a pas de cause ; vouloir en raisonner et le combattre par des raisons, c’est ne pas le comprendre. Il fut un temps où je regorgeais d’éléments de bonheur et où j’étais véritablement très à plaindre ; les deuils les plus tristes ne sont pas ceux que l’on porte sur son chapeau. Je sais ce que c’est que le vide ; mais qui sait ? La grandeur y est peut-être, l’avenir y germe. Prends garde seulement à la rêverie ; c’est un vilain monstre qui attire et qui m’a déjà mangé bien des choses. C’est la sirène des âmes ; elle chante, elle appelle, on y va et l’on n’en revient plus. J’ai grande envie ou plutôt grand besoin de te voir. J’ai nulle choses à te dire, et de tristes ! Il me semble que je suis maintenant dans un état inaltérable ; c’est une illusion sans doute, mais je n’ai plus que celle-là, si c’en est une. Quand je pense à tout ce qui peut survenir, je ne vois pas ce qui pourrait me changer ; j’entends le fonds, la vie, le train ordinaire