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outre, elle se munit d’une lettre de change représentant une somme considérable et dont la signature avait cours en tout pays du monde.

Le 3 septembre, elle ne conservait plus de doute sur le sort qui l’attendait et il est probable qu’elle ne s’est associée que par condescendance aux efforts que l’on a eu l’intention de tenter pour sauver un trône que la défaite venait de briser.

Elle savait, en outre, que, par le fait seul des circonstances et par suite de l’engouement public, le général Trochu était devenu un arbitre souverain et elle se sentait abandonnée par lui. Elle était donc résignée. Peut-être même, dans ces heures d’angoisse où la pensée tourbillonne sur elle-même, se figura-t-elle qu’elle ferait tête à l’émeute ; on peut le croire, car, peu de temps après sa chute, elle a dit : « Si je n’avais eu à craindre que d’être tuée, je serais restée. »

Après le Conseil des ministres tenu le 4 septembre aux Tuileries, pendant que le Corps législatif essayait de délibérer et que le peuple allait faire acte de souveraineté, en commettant un crime de plus contre lui-même, l’Impératrice était très entourée ; le service de sa maison était à ses côtés ; l’amiral Jurien de La Gravière, Conti, secrétaire de l’Empereur, le général Lepic, les chambellans comte Lezai-Marnésia, E. de Banes, Gardenne, comte de Cossé-Brissac, les dames d’honneur étaient à leur poste ; la maréchale Canrobert, la maréchale duchesse de Malakoff se tenaient auprès de la souveraine dont elles étaient les amies ; les plus empressés étaient les ambassadeurs d’Autriche et d’Italie, Metternich et Nigra. Les antichambres commençaient à être désertées par la valetaille, qui avait pris peur ; seul, le suisse, hallebarde en main, restait impassible dans le grand escalier.

Les grilles du Carrousel, les grilles du jardin étaient fermées ; un bataillon de mobiles de je ne sais plus quel département et des voltigeurs de la garde impériale (bataillon ou régiment ? je ne me souviens pas) étaient chargés de la défense du palais, sous le commandement du général Mellinet, un vieux brave, amateur passionné de musique, qu’un soufflet d’obus avait défiguré devant Sébastopol. L’Impératrice le fit appeler et lui demanda s’il pouvait protéger les Tuileries et en défendre l’accès sans faire usage des armes. Le général répondit : « C’est impossible. »

L’Impératrice fit alors partir la maréchale Canrobert, la maréchale Pélissier et ses dames d’honneur, ne gardant