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alors soixante-dix-neuf ans — fut la dupe, Kératry demanda que la sécurité et la liberté de l’Assemblée fussent assurées, car on avait tout à y craindre d’un mouvement populaire. Le seul moyen de sauvegarder la salle des délibérations contre un envahissement probable était de faire occuper l’intérieur même du palais par la garde nationale armée. De cette façon, l’on n’avait plus rien à craindre. L’idée parut bonne à ce pauvre Lebreton, qui l’adopta. L’ordre de s’introduire dans le sanctuaire inviolable où délibèrent les représentants de la nation, comme l’on dit en charabia révolutionnaire, fut porté par Arthur Picard, frère d’Ernest Picard[1], à Edmond Adam[2], chef de bataillon récemment élu dans la garde nationale de formation nouvelle, républicain de vieille date, ancien rédacteur du National, au temps d’Armand Marrast, et secrétaire général de la mairie de Paris, après la révolution de 1848. Le choix indiquait de la perspicacité.

Edmond Adam, suivi de ses deux bataillons, au pas accéléré, tambours battants, gravit le grand escalier du Corps législatif, en criant : « Vive la République ! » Cela fit réfléchir le général Lebreton ; il comprit sa sottise qu’il était trop tard pour réparer. Il courut chez Trochu et l’adjura de venir, par sa seule présence, sauver le Corps législatif. Trochu donna l’ordre d’amener ses chevaux, se mit en selle avec les officiers de son état-major et dit à Lebreton : « Allez ; je vous suis. » Il ne parut cependant pas là où l’appelait son devoir. Il a dit que la foule lui avait fermé le passage. En somme, dans cette journée, on ne le vit en nulle place où il aurait dû être… Par un singulier hasard, Kératry, qui exigea l’entrée en scène de la garde nationale, Edmond Adam, qui la guida, furent les deux premiers préfets de Police du gouvernement qu’on allait improviser.

Steenackers revint dans les bureaux et dit aux députés qu’ils pouvaient se considérer comme en sûreté, sous la

  1. Picard (Ernest), 1821-1877. Avocat, député au Corps législatif de 1858 à 1870, membre du Gouvernement de la Défense nationale, sénateur de 1875 à 1877. — Picard (Arthur), 1825-1882. Sous-préfet de Lapalisse, il donna sa démission en 1859. Aux élections partielles de novembre 1869, il se présenta sans succès à Paris comme candidat de l’opposition. (N. d. É.)
  2. Adam (Edmond), 1816-1877. Homme politique et administrateur. Préfet de Police du 11 au 31 octobre 1870, député de 1871 à 1875, sénateur de 1875 à 1877. (N. d. É.)