Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande pourquoi la protection du Corps législatif a été confiée par le ministre de la Guerre à la gendarmerie et à la troupe de ligne, tandis que, si l’on s’était conformé aux ordres du général Trochu, elle aurait dû appartenir à la garde nationale. Palikao, qui savait à quoi s’en tenir sur les projets du comité de la Sourdière, répondit en plaisantant : « Vous vous plaignez que la mariée est trop belle ! » C’était perdre du temps que de s’arrêter à de telles observations ; on passa outre, et tout de suite on écouta la lecture des projets de loi proposés pour réparer les fautes commises et conjurer les périls.

Le président du Conseil, entendu le premier, selon son droit, propose d’instituer un Conseil de gouvernement et de défense nationale composé de cinq membres, élus à la majorité absolue par le Corps législatif ; le général comte de Palikao est nommé lieutenant général de ce Conseil, qui choisit les ministres. Jules Favre réclame l’urgence pour le projet qu’il a fait connaître au cours de la séance de nuit et qui peut se résumer en deux paroles : « Déchéance, guerre sans merci. » La plupart des députés ne reculaient point devant la déchéance, mais le mot leur déplaisait ; comme dans toute discussion parlementaire, la logomachie, le byzantinisme intervenaient et s’évertuaient à déguiser le fait sous un faux nom. Thiers excellait à dénouer ce genre de difficultés. Bien souvent il avait dit : « La science de gouverner consiste dans l’art de dorer les pilules. » On le prit pour confident de ce que l’on appelait un cas de conscience ; il promit de calmer ces cœurs généreux doublés d’une âme timorée et il y réussit.

Dans le désordre moral où l’on sombrait, le projet présenté par Thiers était le meilleur ; il évinçait l’Empire, il conservait le pouvoir au Corps législatif, il ne préjugeait pas l’avenir et laissait la France maîtresse de ses destinées intérieures : « Vu les circonstances, la Chambre nomme une Commission de gouvernement et de défense nationale. Une Constituante sera nommée dès que les circonstances le permettront. » L’urgence sur les trois propositions ayant été prononcée, les députés se retirèrent dans leurs bureaux pour délibérer, élire une commission et désigner un rapporteur. Que de temps perdu ! La manifestation de la foule et de la garde nationale tourne déjà à l’émeute ; tout à l’heure, ce sera une révolution.