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régiment des voltigeurs de la garde, laissé à la garde des Tuileries, on n’avait que des régiments de marche, ramassés à la hâte, armés à la diable et se souciant peu de jouer leur vie pour une cause qui leur était indifférente, sinon antipathique. Un de ces régiments occupait la cour intérieure et une partie du quai ; les abords par le pont de la Concorde étaient défendus par cinq cents ou six cents sergents de ville, sous le commandement de leurs officiers de paix, hommes énergiques et résolus à faire leur devoir. Ils n’en étaient pas moins réduits à l’impuissance, car la seule poussée de la multitude les eût étouffés. Il eût fallu la garde impériale pour entourer le palais législatif et la cavalerie massée dans les Champs-Élysées, prête à charger, et l’artillerie sur les terrasses du jardin des Tuileries ; il eût fallu tout ce que l’on n’avait pas, tout ce que l’ennemi emmenait en Allemagne et bloquait devant Metz.

Et encore ! Eût-il été possible de résister ? Ce n’était pas seulement les émeutiers de profession et les révolutionnaires qui étaient là, comme l’ont plus tard prétendu les partisans de l’Empire quand même ; c’était la population folle de colère, mue par une passion aveugle, qui ne savait rien prévoir, mais qui ne voulait plus du régime qui mettait la France aux mains de l’étranger. Elle rendait l’Empereur et l’Empire responsables des désastres où elle avait sa bonne part et, n’importe à quel prix, elle voulait s’en débarrasser. À la fois naïve, niaise, violente, injuste, outrée et près d’être criminelle, elle voyait dans l’Empire la cause de tous les maux, croyait que les maux disparaîtraient si l’Empire disparaissait, et courait pour en précipiter la chute. Il est facile d’être sage après coup, mais à l’heure dont je parle, les plus sages étaient affolés. Oui, le 4 septembre fut un crime ; non point parce qu’il a balayé l’Empire déjà tombé, mais parce qu’il a dispersé le Corps législatif ; crime impie, dont la France a reçu une effroyable blessure et dont la responsabilité remonte au général Trochu, qui pouvait l’empêcher et n’a rien fait pour s’y opposer, pas même pour le retarder.

La séance fut ouverte à une heure un quart ; le premier député qui parut à la tribune fut le comte de Kératry. D’un mot, il va dévoiler les espérances de ceux qui, dans les circonstances actuelles, ne voient que l’occasion, si longtemps rêvée, de bouleverser les institutions existantes. Il