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sables, Thiers, Gambetta, Favre et Trochu, eussent été constamment en présence et se fussent volontiers pris aux cheveux ? Il est bien difficile de le deviner. Au point de vue intérieur, rien de bon, j’imagine, rien de pratique, de conciliant, ni de durable ; au point de vue de l’extérieur, c’était la paix menée par Thiers, appuyée par notre diplomatie encore à son poste ; c’était notre armée moins décimée, c’était un sacrifice d’argent considérable, la démolition de quelques forteresses, mais c’était le territoire intact et l’avortement de la Commune. Les dieux ne l’ont pas voulu et nulle douleur ne nous a été épargnée.

C’est cette motion que le ministère espérait discuter dans la séance qui, selon la résolution du Conseil, devait s’ouvrir le 4 septembre, à neuf heures du matin, dans des conditions supportables de sécurité que l’on ne devait pas retrouver plus tard. L’Impératrice n’avait point oublié ce que Brame lui avait dit, mais elle tenait à faire acte de soumission, comptant sans doute, malgré les leçons de l’histoire, que ses concessions désarmeraient les mauvais vouloirs et les intentions perverses ; aussi, dès les premières heures de la matinée, elle fit dire à Schneider que le Corps législatif ne devait être réuni qu’à une heure. Lorsque cette nouvelle fut transmise à Gambetta, il éclata de son rire épais et dit : « Ça lui donnera le loisir de faire ses malles. » Les malles étaient faites, et depuis trois jours déjà.

Les ministres étaient convoqués pour neuf heures et demie aux Tuileries ; ils allaient discuter les propositions que l’on se figurait pouvoir présenter à l’acceptation du Corps législatif. Au moment où l’Impératrice, causant avec Henri Chevreau, se levait pour passer dans la salle du Conseil, on lui annonça que le général Trochu, qu’elle avait attendu vainement depuis la veille, sollicitait l’honneur d’être reçu par elle. Les ministres étaient là et, sa dignité blessée aidant, elle hésita à donner l’ordre de le faire entrer. Chevreau insista : « Les conjonctures sont trop graves ; le Conseil attendra ; recevez le général. La situation est désespérée, mais si un homme en est le maître, c’est lui. » L’entrevue fut un tête-à-tête. Lorsque l’Impératrice pénétra dans la salle du Conseil, Chevreau l’interrogea du regard ; elle leva les yeux au ciel avec un léger haussement d’épaules, comme pour dire : « Je n’en sais pas plus qu’avant de l’avoir vu. »

En 1876, à Arenenberg, elle m’a parlé de son entretien avec