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mérites qu’il s’attribuait ; officier de cavalerie, il avait commandé au Mexique la contre-guérilla ; rentré en France, mécontent, il acheta à Charles Dollfus la Revue germanique, dont il fit la Revue moderne, sans succès ; il se jeta dans la politique d’opposition, avec tendance vers l’orléanisme, et fut élu député du Finistère en 1869. Il était intelligent, mais, dans les situations très variées qu’il dut à la révolution, il n’a laissé que de médiocres souvenirs. Ce fut lui, selon toute probabilité, qui provoqua cette séance dont le résultat eût été nul, si elle n’avait fait rejeter à une heure de l’après-midi une séance — la séance d’agonie — que l’on était convenu, en Conseil des ministres, de tenir le lendemain, dimanche, à neuf heures du matin.

Cette séance de nuit fut misérable ; Brame, qui m’en a parlé, m’a dit textuellement : « Tout le monde était abruti, la majorité, l’opposition et moi-même. » Le mot n’est pas excessif. Comme nul n’avait imaginé que le malheur de la France pût jamais atteindre à ce degré d’acuité, personne ne pouvait proposer l’adoption de mesures secourables. On regardait le naufrage avec des yeux hébétés, mais nul sauveteur ne savait comment s’y prendre pour apaiser la tourmente, ou pour arracher le navire au péril. Chacun était tellement écrasé sous le poids de sa propre impuissance et de l’impuissance collective, que nul ne demandait la parole. À peine causait-on à voix basse. Le comte de Palikao, ministre de la Guerre, président du Conseil, annonça officiellement aux députés ce qu’ils n’ignoraient pas : que notre armée, y compris l’Empereur, était prisonnière de guerre. Quoique connue, cette nouvelle tomba sur le Corps législatif comme la pelletée de terre sur un cercueil ; toutes les têtes s’abaissèrent ; on eût dit que l’on saluait un sépulcre qui jamais plus ne devait s’ouvrir. Ceux qui ont assisté à cette séance funèbre en ont gardé un souvenir que le temps n’a point effacé.

Palikao proposa à la Chambre de s’ajourner à la matinée, pour délibérer sur les propositions que le salut du pays pourrait suggérer. La majorité, soulagée de n’avoir aucune résolution à prendre, approuva ; on se levait déjà pour s’en aller, lorsque Jules Favre demanda la parole ; est-ce le député qui parla ? non, ce fut l’homme de la rue de la Sourdière. Il fallait donner aux gardes nationaux le temps de recevoir le mot d’ordre, de se réunir et d’arriver des loin-