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sont à cette heure. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Si par hasard un acte criminel était entrepris, si l’on parvenait même à embastiller les patriotes, ce ne serait pour nos ennemis qu’un triomphe éphémère. La police est peu nombreuse, les assassins des Tuileries n’ont, en réalité, que peu de troupes à leur disposition ; nous aurions promptement délivré les prisonniers, si l’on osait en faire ; car demain, la garde nationale étant convoquée, nous aurons 200 000 baïonnettes derrière nous et nous serons les maîtres. Il faut seulement surveiller Trochu et l’enlever, s’il fait mine de trahir. Quant à nous, notre devoir est tout tracé : débarrassons-nous d’abord des Prussiens de l’intérieur ; quant à ceux de l’extérieur, ils s’arrêteront d’eux-mêmes, devant la majesté du peuple en armes, proclamant la République une et indivisible. » Je ne certifie pas la lettre même du texte, mais j’en affirme l’esprit, d’après le résumé que j’en eus entre les mains.

On se donna rendez-vous sur la place de la Concorde et aux abords du Corps législatif, chacun se réservant de tirer parti de la journée qui serait décisive, au plus grand bénéfice de son ambition ou de son intérêt. On a dit et répété que, dans cette même soirée, une délégation de la garde nationale avait été demander des instructions au général Trochu, qui lui aurait conseillé de se rendre, le lendemain, sans armes, au lieu même indiqué par le comité de la rue de la Sourdière. Malgré la qualité des hommes qui ont déposé de ce fait devant une commission d’enquête parlementaire, il me répugne d’ajouter foi à leur témoignage.

Jules Favre n’avait point menti lorsqu’il avait annoncé que le Corps législatif était convoqué à minuit, en séance extraordinaire. Cette convocation eut cela d’étrange que l’on ne sait point d’une manière précise à qui en appartient l’initiative. Elle ne fut demandée ni par l’Impératrice, ni par le ministère ; elle émana directement du président de la Chambre, qui était Schneider, un gros industriel, propriétaire ou administrateur des usines du Creusot. On a dit qu’il y fut presque contraint par le comte de Kératry, qui, accompagné de quelques députés ahuris, obéissant à toute suggestion, insista avec une telle énergie qu’il fallut lui céder. Kératry croyait à un coup d’État pour la nuit même et voulait y soustraire le Corps législatif en le réunissant. Kératry était un irréconciliable ennemi de l’Empire, qui n’avait point voulu de lui, ou ne l’avait point récompensé selon les