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buées : devant Metz, le prince Frédéric-Charles avec 210 000 hommes ; le Prince royal de Saxe près de la frontière belge avec 100 000 hommes, reliant sa gauche à la droite du Prince royal de Prusse, qui, à la tête de 150 000 hommes, avait établi son quartier général à Bar-le-Duc. Donc 460 000 hommes, auxquels nous pouvions à peine en opposer 220 000 ; là est le secret de nos désastres, qui furent singulièrement aggravés par une intendance détestable, par l’incohérence de notre commandement et par la rectitude du commandement prussien.

Au cours de sa discussion avec Wimpffen, le général de Moltke laissa échapper ou lâcha intentionnellement une boutade très dure pour nous, mais qu’il est bon de rappeler, car nous y pouvons trouver un enseignement profitable ; il s’écria : « Eh ! la voilà bien, votre nation présomptueuse ! Sur tous vos officiers prisonniers, nous avons trouvé des cartes de l’Allemagne et pas une seule de vos régions du Nord-Est ; cela cependant ne vous eût pas été inutile. » Hélas ! ce fait ne fut pas isolé et nous le verrons se reproduire pour les armées que Gambetta improvisait.

Au lever du jour, le 2 septembre, Sedan était un cercle enfermé dans un autre cercle. Pendant que les débris de nos troupes se tassaient dans la ville, sans ordre, au hasard, dans les rues où l’on se couchait les uns contre les autres, dans les caves dont on défonçait les tonneaux, l’armée allemande avait pris position. Notre dernier refuge était hermétiquement entouré. Les corps se touchaient, comme à un défilé de revue, et, au-dessus d’eux, l’artillerie occupant les hauteurs se tenait prête à faire feu de toutes pièces. Les soldats regardaient Sedan, disaient : « Kaiser ist da ; l’Empereur est là », et se réjouissaient, car ils croyaient la guerre terminée ; ils étaient loin de compte. Les états-majors étaient ivres de joie ; les officiers s’embrassaient ; un seul homme ne s’y trompa point. Le roi Guillaume, aux félicitations de ses généraux, répondit : « Vous croyez la guerre terminée ; elle va commencer. »

Le 2 septembre, l’Empereur eut une entrevue particulière avec Bismarck et un entretien secret avec le roi de Prusse. Les deux souverains se rencontrèrent au petit château de Bellevue. Quelles pensées agitèrent le roi Guillaume pendant qu’il se rendait auprès de « son bon frère » ? Rappelait-il à sa mémoire les souvenirs de 1806, alors qu’âgé