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aux Allemands la Champagne et l’Île-de-France. Bazaine ne considéra sans doute que sa propre situation et répondit que, son intention étant de faire une trouée dans la direction du Nord, il était urgent de se diriger vers Montmédy.

Dès le lendemain, 20 août, Mac-Mahon leva le camp de Châlons, qu’il fit incendier, et se mit en route par Reims, Rethel et l’Argonne. Il s’arrêta à Reims ; évidemment il hésitait encore entre deux devoirs : celui d’obéir au ministre de la Guerre ; celui de défendre Paris, où le dénouement devait se produire. Aux Tuileries, on redoutait un coup de tête ; on craignait que le maréchal, faisant volte-face et refoulant sa voie, n’écoutât la sagesse qui lui parlait et lui indiquait le véritable objectif où le salut pouvait se rencontrer encore. Aussi Palikao écrit à l’Empereur : « Ne pas secourir Bazaine aurait à Paris les plus graves conséquences. » L’Empereur répond : « Nous partons demain pour Montmédy. » À Rethel, Mac-Mahon s’arrête encore ; il a reçu des lettres de Trochu qui le supplie de ralentir son mouvement et lui promet de faire rapporter l’ordre de marcher vers Metz.

Mac-Mahon écrit à Palikao ; il lui dit que le passage des Ardennes lui offrira des difficultés cruelles ; qu’il peut être coupé par le Prince royal et qu’on le met, lui maréchal de France, dans une situation dont la responsabilité retombera sur lui, dont les périls sont innombrables, dont l’issue est plus que douteuse. Palikao se fâche et répond : « Vous avez trente-six heures, peut-être même quarante-huit heures d’avance sur le prince de la Couronne ; vous n’aurez devant vous qu’une partie des forces qui bloquent Metz ; marchez sans vous retourner. » Craignant que la lettre ne soit pas suffisante, il expédie dépêches sur dépêches et somme Mac-Mahon d’aller chercher Bazaine en passant à travers le « rideau » de troupes qui l’en sépare. Mac-Mahon n’hésita plus et partit pour la direction qui lui était infligée et qui devait aboutir à la catastrophe. La plus grande part en incombe à Palikao, dont la capacité militaire était discutable et dont la politique prêta l’oreille inconsciemment aux politiciens de la rue de la Sourdière.

À la nouvelle que le maréchal Mac-Mahon s’en allait vers Bazaine, Paris fut en joie et l’on crut encore à une victoire prochaine. Ce sentiment fut tellement vif dans la partie de la population — et c’était la plus nombreuse — qui se préoccupait avec intensité du salut national, que le groupe dont les