l’on pourrait nommer la légitimité impériale. En revanche, la conduite beaucoup trop libre du mari de la princesse Clotilde était blâmée avec une énergie extraordinaire ; le Prince impérial ne tarissait pas à ce sujet. Cette réserve sur un point qui devait lui tenir singulièrement au cœur me fit douter de sa franchise et je me souvins de la parole du Psalmiste : Nolite confidere in principibus.
Pendant que j’étais à Camden-Place, nous sommes sortis ensemble tous les matins. Ma chambre était située au-dessus de la sienne ; il m’entendait me lever ; quand il jugeait que j’avais fini ma toilette et que j’avais pris mon thé, il arrivait et me disait : « Allons bavarder… » Jamais il n’a causé sérieusement avec moi que dehors, sur la bruyère de Chislehurst, en plein air, loin de toute oreille indiscrète appliquée contre une cloison, loin de tout œil curieux regardant par le trou d’une serrure ; c’était d’une prudence rare à son âge et que j’avais déjà constatée chez quelques vieux conspirateurs. C’est là, dans ces tête-à-tête qui parfois se prolongeaient pendant plusieurs heures, qu’il m’a développé les plans qu’il formait pour donner à la France une assiette et une vigueur nouvelles. Il émettait ses idées nettement et d’abondance, non pas comme s’il eût récité une leçon, mais comme s’il avait mûrement réfléchi à ce qu’il disait. Ces idées lui appartenaient-elles en propre, étaient-elles empruntées à des notes laissées par Napoléon III, les avait-il reçues de quelques hommes compétents qu’il avait consultés ? Je n’en sais rien, mais je n’aurais aucune objection à croire qu’elles étaient nées en lui ; qu’il les avait alimentées par la méditation et qu’il comptait en faire le programme du règne futur auquel il se croyait appelé.
La centralisation inaugurée par les Jacobins, fortifiée par Napoléon Ier, acceptée par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la chute du Premier Empire, lui semblait la cause principale de l’affaiblissement de la France ; et cette cause, il voulait la détruire. La division administrative en départements lui paraissait vicieuse, car l’étendue très restreinte de chaque circonscription y paralysait la vie locale. Il comprenait que la Première République, siégeant de fait à Paris, avait eu un intérêt de premier ordre à dissoudre les agglomérations provinciales, afin de briser plus facilement les résistances qu’elle y pouvait rencontrer. Mais, aujourd’hui, l’unification morale de la France était faite et le morcelle-