vait douter. Cela se comprend, car la conduite du prince Napoléon à son égard avait été absolument coupable, sans atténuation. Dès que l’Empereur fut mort, le prince Napoléon sentit s’agiter dans son âme florentine le désir de régner. « Salut, Macbeth, tu seras Roi ! » Au lieu de refouler ces pensées mauvaises, il s’y livra, poussé par quelques personnages secondaires, dont le plus naïf était Maurice Richard. Il répudia son devoir, qui était tout tracé. Suivre ou précéder le Prince impérial, mais ne pas le quitter, respecter l’ordre de succession prescrit par la Constitution de l’Empire à laquelle il devait tout, veiller sur l’orphelin, en défendre la cause et ne point commettre des actes d’indépendance qui ressemblaient à des actes d’usurpation.
Déposséder l’héritier légitime de ses droits et se substituer à lui n’était point chose facile ; mais il paraît que la casuistique de l’ambition autorise certaines interprétations morales que j’appelle tout bêtement des infamies. Il avait bâti de toutes pièces une théorie qui pouvait se réduire en deux articles : 1° la dignité impériale est héréditaire dans la famille des Bonaparte ; 2° l’Empereur est désigné par le choix de la nation consultée et répondant par un plébiscite. Il disait : « Entre le collégien de Woolwich et moi, le peuple français prononcera. » Un jour qu’il était venu me voir, qu’il m’expliquait cette belle invention et me demandait ce que j’en pensais, je lui répondis : « C’est une opinion de cadet ; si vous étiez l’aîné et l’héritier légal de Napoléon III, vous ne parleriez pas ainsi. » Il insista, je ne démordis pas et j’ajoutai avec quelque animation : « Prenez garde, il se pourrait faire qu’un jour on retournât cette hérésie contre vous. » Je ne croyais pas être si bon prophète ; quelques années plus tard, le prince Victor levait un drapeau de prétendant qui n’était pas celui de son père.
De tous ces démêlés de famille, de ces compétitions malpropres, le Prince impérial ne me souffla mot, mais, parlant du prince Napoléon, il me disait avec une colère qu’il n’essayait pas d’atténuer : « C’est un viveur, et rien n’est plus laid, plus dangereux qu’un prince viveur. » En plaisantant, je ripostai : « Mais, Monseigneur, il n’est pas donné à tout le monde d’être vertueux. » Brusquement, il répliqua : « Alors, il ne faut être ni prince ni prétendant. » Ce mot fut la seule allusion que l’on pût appliquer aux tentatives que le prince Napoléon faisait pour se créer un parti, en dehors de ce que