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ment est souvent un fléau. C’est un péril auquel on ne semble pas exposé aujourd’hui ; on doit s’en féliciter et se rappeler la parole de Gustave-Adolphe : « C’est un coup d’amour envers les peuples, lorsque Dieu ne donne aux rois que des âmes ordinaires. » À l’époque où le roi de Suède parlait ainsi, on prévoyait peu les présidents de la République ; c’est pourquoi sans doute il n’en a point parlé.

Cette élection eut cependant une influence néfaste sur les esprits médiocres, c’est-à-dire sur le plus grand nombre. Elle éveilla des ambitions désordonnées et développa cette race de politiciens qui pullule comme celle des cloportes et dont la France est envahie. Une telle fortune politique a tourné bien des têtes, et en voyant Grévy non pas décoré, mais paré du grand cordon de la Légion d’honneur, passer des revues, recevoir les ambassadeurs, échanger des notifications avec des souverains, présider le Conseil des ministres et donner force de loi aux décisions du Parlement, il n’est pas un clerc d’huissier qui ne se soit demandé pourquoi, lui aussi, il ne serait pas chef du pouvoir exécutif en France.

À voir la qualité des ministres qui se sont succédé depuis l’avènement de Grévy, quel est le vétérinaire sans bétail à soigner, quel est le cabaretier en menace de faillite qui ne se soit cru des droits à un portefeuille et ne l’ait demandé au scrutin de liste, ou au scrutin d’arrondissement ? L’élection de Grévy a été d’un exemple funeste ; elle a ouvert la porte des fonctions publiques aux déclassés, aux fruits secs, aux ratés de toutes les professions. Ils se sont précipités et on les rencontre, en masse compacte, besogneuse et peu morale, sur les escaliers qui mènent aux situations lucratives dont le budget fait les frais. Ce qui en résultera de dépenses, de dilapidation, d’amoindrissement intellectuel, la France le saura plus tard, en reconnaissant que l’éligibilité universelle et que l’absence d’éducation préalable en politique constituent la plus coûteuse et la plus décevante des folies.

Le nouveau Président que, dans la familiarité, on appelait Papa Grévy — et tout le monde en parlait familièrement, — ne fut point aimable pour son prédécesseur, lorsque celui-ci, mû par un sentiment de galant homme, habitué à respecter les convenances, demanda, au mois de juillet 1879, l’autorisation de se rendre à Chislehurst, pour assister aux funérailles du Prince impérial. La question fut agitée au Conseil des ministres et résolue négativement, sur l’observation faite