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n’avait pénétré la cervelle du prétendant, a une histoire qu’il convient de raconter.

Le duc de Nemours, qui, toute sa vie, a penché vers la légitimité, avait, dans une visite à Frohsdorf, causé avec le comte de Chambord du cérémonial adopté pour le grand jour. Il lui avait dit qu’en qualité de chef de l’armée, le Roi devait se montrer sous l’uniforme de général de division. Le comte de Chambord avait répondu que cela était impossible ; que le costume devait, par lui-même, être une sorte de manifeste rendu compréhensible à tous les yeux et prouver que l’on renouait le fil des traditions monarchiques, rompu par des circonstances détestables ; le costume ne pouvait donc être que bleu de ciel et blanc. Comme le duc de Nemours s’étonnait et semblait ne point comprendre, le comte de Chambord donna des explications :

Louis XIII, le grand aïeul, n’avait-il pas voué la France à la Vierge, par l’acte solennel du 15 août 1637 ? En conséquence, le jour où l’on reprendrait possession du royaume, il n’était que correct de porter les couleurs de Marie ; c’est pourquoi le costume officiel du retour serait de velours azur galonné d’argent ; quant à la coiffure, elle ne pouvait être que le chapeau à la Henri IV surmonté du « panache blanc, que l’on a toujours vu sur le chemin de la gloire et de l’honneur ». Aux objections que le duc de Nemours, homme de bons sens, hasarda, le comte de Chambord riposta : « C’est ma volonté. »

Ce costume était si singulier, il ressemblait si bien à un travestissement que, lorsque l’on m’en parla, je crus à une mystification, ou à une de ces facéties familières aux désœuvrés de Paris. Le costume a existé ; du moins Ansart, qui était alors chef de la police municipale et très au courant des faits et gestes du parti légitimiste, m’a affirmé l’avoir vu. Ansart, qui avait loyalement servi l’Empire, penchait vers l’orléanisme ; il est donc probable qu’il voyait avec déplaisir une restauration se préparer, mais je le crois incapable d’avoir inventé une si forte bourde. D’après les renseignements qu’il m’a donnés, un mois ou deux après l’avortement de l’entreprise, le comte de Chambord devait monter à cheval sur la place de la Bastille, couvert de son fameux costume, et se rendre au palais de l’Élysée, en passant par les boulevards, la rue Royale et la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Je lui demandai : « Que serait-il arrivé ? » Il tourna