Woolwich chercher le Prince impérial. Lorsqu’il arriva, il ne put que s’agenouiller au chevet du lit funèbre et prier pour le repos de l’âme de celui qui avait été son père.
La mort de Napoléon III produisit à Paris une impression plus profonde que je ne l’aurais soupçonné. Ses partisans furent atterrés, ce qui est naturel, mais la masse indifférente ressentit une émotion réelle, en voyant disparaître celui qu’elle avait parfois acclamé avec passion et qui avait été son maître. Je me rappelle avoir passé sur le boulevard de la Chapelle, quelques jours après le 9 janvier, alors que des journaux illustrés publiaient des portraits de l’Empereur et un, entre autres, assez grossièrement gravé sur bois, qui le représentait sur son lit de mort. Devant un libraire, qui avait exposé cette estampe à sa vitrine, un groupe nombreux d’ouvriers et de commères du quartier était arrêté, regardant, bouche béante, ce visage que la caricature avait si souvent défiguré. On était silencieux et comme recueilli ; pas une plaisanterie, pas une injure, rien qu’une sorte de compassion mêlée d’inquiétude. Un homme leva les épaules et dit : « Après tout, le pauvre diable, il n’a pas eu de veine. » La phrase était plus énergique, mais personne ne protesta, car c’était le résumé de l’impression générale.
Dans le monde orléaniste qui l’avait tant haï, chez les légitimistes qui l’avaient servi, tout en s’en moquant, chez les républicains pour lesquels il avait eu parfois des sévérités excessives, l’émotion fut assez vive ; on semblait dérouté ; on était déprimé, comme si tout à coup un grand silence, un silence inexplicable s’était fait au milieu du tumulte. Le sentiment qui dominait était une sorte de malaise vague dont on était atteint, sans trop savoir pourquoi, et que l’on subissait malgré que l’on en eût. J’étais étonné, car je retrouvais cette espèce d’effarement chez des gens de catégories très différentes. J’en parlai à Sylvestre de Sacy[1], que je rencontrai. Je n’ai pas oublié sa réponse, qui renferme peut-être l’explication de cet état d’âme particulier : « C’est bien simple ; nous sommes dans des catacombes dont nous cherchons à sortir, nous venons d’entendre une porte se fermer, c’est une chance de plus qui nous échappe et cela
- ↑ Sylvestre de Sacy (Samuel), 1801-1879. Fils du célèbre orientaliste. Critique littéraire, membre de l’Académie française et sénateur sous l’Empire. (N. d. É.)