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dans le complot et eût fait avorter les essais de résistance ; or qui a la police a Paris. On le savait à Camden-Place. On paraissait assuré du succès. L’entreprise avait été préparée de main de maître, les rares obstacles que l’on pouvait rencontrer n’étaient point pour faire avorter l’expédition ; on avait tout prévu, tout, excepté que Napoléon III pouvait mourir.

Le 9 décembre 1872, l’Empereur et le prince Napoléon eurent une dernière conférence ; les détails de cette invasion — c’en était une — furent examinés un à un. Sans que l’on se laissât dominer par de funestes prévisions, on était triste, comme à l’heure des résolutions suprêmes ; les deux cousins qui, malgré tant de divergences de caractère et d’idées, s’étaient toujours témoigné de la confiance, car leur fortune était liée par d’indissolubles attaches, les deux cousins allaient se quitter, pour ne se revoir qu’au moment de monter à bord du bateau à vapeur voguant vers la terre de France. Ils étaient émus, mais fermes, et se demandaient si, cette fois encore, « l’aigle impériale volerait de clocher en clocher ».

Napoléon III, l’œil perdu dans des contemplations lointaines où si souvent il s’égarait, dit tout à coup : « Ce qui peut m’arriver de pis, c’est d’être fusillé, comme ce pauvre empereur Maximilien ; ça vaut mieux que de mourir en exil et dans mon lit. » Le prince Napoléon lui demanda : « Êtes-vous du moins certain de pouvoir vous mettre en selle et d’y rester quelque temps ? car il nous faudra marcher à la tête des troupes. » L’Empereur répondit : « Je le crois. Après-demain, j’irai voir Louis[1] à Woolwich ; je tâcherai de faire la route à cheval : l’expérience sera concluante. » Concluante en effet, car elle fut mortelle. Le soir même, le prince Napoléon avait quitté l’Angleterre, se dirigeant vers la Suisse, où il allait veiller aux derniers préparatifs.

Ainsi qu’il l’avait annoncé, l’Empereur monta à cheval, le 11 décembre, dans l’intention de se rendre à Woolwich ; il n’avait pas fait un kilomètre qu’il était obligé de rentrer à Camden-Place, tant les douleurs éprouvées avaient été intolérables. Il avait dans la souffrance matérielle une énergie extraordinaire, et dont souvent il n’avait pas ménagé les preuves. Il donna l’ordre d’atteler son brougham[2] et fit

  1. Le Prince impérial, qui était à l’École militaire de Woolwich. (N. d. É.)
  2. Voiture à quatre roues et à un cheval, mise à la mode par Lord Brougham. (N. d. É.)