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moment ; de qui se composait cet état-major de l’échauffourée ? Je ne saurais le dire, le seul nom que je puisse prononcer avec certitude est celui du général Fleury. L’Empereur exposait le but et les moyens de l’expédition ; qui m’aime me suive ! Puis, sur le yacht à vapeur du prince, on traversait le lac Léman et l’on prenait terre en France, à Thonon, où des chevaux avaient été réunis.

Le sixième régiment de dragons, alors en garnison à Chambéry, devait être, à l’époque indiquée, envoyé en promenade ou en manœuvre militaire à Thonon ; il y eût figuré le premier corps de troupes qu’il se fût agi d’enlever, afin de former le noyau autour duquel les soldats viendraient successivement se grouper. Ce régiment appartenait à l’armée de Lyon, que commandait le général Bourbaki ; il avait été choisi avec discernement, et l’on peut croire que ce n’est point le hasard ou le tour de service qui l’aurait conduit sur les bords du lac de Genève, car quinze officiers supérieurs et subalternes étaient recordés, comme l’on dit en style de police, c’est-à-dire avaient été pratiqués et étaient acquis au mouvement. Ils avaient promis leur concours et répondaient de celui de leurs cavaliers.

L’Empereur se serait présenté devant le front de bandière ; on voit la scène d’ici : « Soldats, reconnaissez-vous votre vieux général, que la fortune a trahi, mais qui se rappelle avec orgueil les grandes choses qu’il a faites avec vous, grâce à vous, sur le champ glorieux de Magenta et de Solférino ! » Les officiers agitaient leur sabre, étaient saisis d’enthousiasme, criaient : « Vive l’Empereur ! » Les soldats se laissaient entraîner et la farce était jouée. On se mettait en marche sur Lyon, d’où le général Bourbaki sortait, à la tête de ses troupes, pour repousser « l’usurpateur », ou pour faire cause commune avec lui, selon les circonstances. Bourbaki se prêtait de bonne grâce au projet, mais à la condition que son corps d’armée acclamerait Napoléon III ; si, au contraire, une résistance morale se manifestait, il faisait entourer le régiment insurgé et s’emparait de l’Empereur, quitte à lui fournir l’occasion de s’évader. La convention avait été ainsi réglée dans plusieurs conférences mystérieuses que Fleury et Bourbaki avaient eues ensemble.

En admettant l’adhésion du régiment placé à Thonon, la complicité du corps d’armée de Lyon, on se croyait maître de la destinée ; on lançait des proclamations et l’on se diri-