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remettra à trembler pour Rome, je suis persuadé que tous les Cabinets d’Europe verraient favorablement une restauration napoléonienne en France. »

Après avoir écouté le comte Chouvaloff, j’ai résumé son récit dans la note que l’on vient de lire ; cette note, je la lui ai montrée, afin d’être certain que je n’avais point commis d’erreur. Il la lut et me dit : « Faut-il signer pour copie conforme ? » Il était convaincu que Bismarck était sincère et qu’il n’avait fait qu’exprimer son opinion ; soit, mais entre les mains du tout-puissant chancelier de l’Empire allemand, Napoléon, redevenu empereur des Français, eût été, par la force même des choses, un instrument docile ; l’expérience était trop récente, elle avait été trop cruelle pour permettre autre chose qu’une sorte de soumission attentive ; en outre, le souverain d’un peuple exaspéré de sa défaite, outré de sa mutilation, travaillé par tous les partis, ne pouvait gouverner qu’en supprimant toutes les libertés, comme après le 2 décembre 1851, et les monarchies de l’Europe profiteraient de l’exemple, ainsi qu’elles l’avaient déjà fait : j’en conclus que l’intérêt sentimental du prince de Bismarck se trouvait d’accord avec son intérêt politique.

La bonne volonté du Chancelier n’était pas douteuse, mais elle s’exerçait en faveur d’un homme désigné et n’avait pas la portée que l’on chercha plus tard à lui attribuer. C’était Napoléon III qu’il acceptait et non pas un représentant de sa dynastie. De ceci, j’ai la preuve, et c’est encore au comte Chouvaloff que je la dois. Vers le mois de mai 1873, c’est-à-dire cinq mois après la mort de l’Empereur, il vint à Paris et alla voir le général Fleury ; il lui exprima ses regrets de voir que de douloureuses circonstances eussent mis à néant le projet dont le secret lui avait été confié. Le général Fleury se récria : « Mais pas du tout, le projet n’est point abandonné ; l’Empereur est mort, vive l’Empereur ! Au lieu du père, nous avons le fils ; la tentative n’est qu’ajournée et nous ferons de notre mieux pour qu’elle réussisse. Nous vous serions même très reconnaissant d’en parler au prince de Bismarck, dont les intentions sont probablement toujours les mêmes. » Un mois après, le comte Chouvaloff était à Berlin et communiquait au Chancelier la nouvelle combinaison dont le général Fleury l’avait entretenu.

Bismarck secoua la tête : « Les conditions sont modifiées et