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M. Thiers n’est qu’une médiocrité arrivée à l’ancienneté ; il a trompé successivement tous les partis qui lui en gardent rancune. On comprend que l’Assemblée nationale est lasse de lui et qu’elle cherche un moyen légal de le mettre au rancart ; une fraction assez considérable voudrait, par une surprise de vote, lui substituer le duc d’Aumale ; mais, si cette manœuvre était tentée, la droite et la gauche se jetteraient dans les bras l’une de l’autre et reculeraient devant une mesure qui préjugerait l’avenir, en renversant leurs espérances mutuelles ; dans ce cas, elles se coaliseraient et produiraient une sorte de compromis d’où Jules Grévy sortirait sans doute avec le titre de président de la République. Tout cela ne serait encore que du provisoire ; or ce que l’on veut, ce que l’on demande, c’est à tout prix quelque chose qui ressemble à du définitif.

« L’Empereur n’est pas à l’île d’Elbe, il n’a pas près de lui des troupes qui pourraient servir de point d’attraction et de ralliement à l’armée française ; je crois néanmoins que l’heure est propice ; sans me permettre de dire : hodie aut nunquam, sans recommander une hâte intempestive, je suis d’avis qu’il ne faut pas perdre beaucoup de temps, parce que, d’une part, la lassitude publique ne fait point pressentir de résistance et que, d’autre part, l’Assemblée nationale, nerveuse et surexcitée, peut tout à coup prendre une résolution grave, soit en proclamant la république, soit en restaurant la monarchie dite légitime. Je ne livre ici qu’une impression ; il est certain que l’Empereur est mieux renseigné que moi ; cette impression a cependant été assez vive pour que j’aie cru devoir examiner le mode du retour. J’en ai fait l’objet d’une note que je prends la liberté d’adresser à Votre Majesté, la priant de la jeter au feu et de m’excuser si j’ai dépassé la limite des plus strictes convenances. »

Dans sa note, l’auteur de la lettre étudie ce qu’il nomme « le mode du retour » ; il passe en revue trois moyens : la tentative individuelle, comme à Strasbourg et à Boulogne ; il la rejette parce qu’il l’estime trop périlleuse ; l’appel au peuple : les députés le redoutent par-dessus tout, monarchistes et républicains le repousseraient avec ensemble. À cette déclaration, le correspondant ajoute des considérations d’un ordre plus élevé. « Pour plus d’un motif, dit-il, dans l’intérêt même de l’Empereur et de sa dynastie, il est préférable que l’appel à la nation n’ait point lieu. En effet, ce