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Bonaparte, celui que l’on cherchait dans le ciel, en 1815, lorsque l’on faisait la traversée de Porto-Ferrajo au golfe Juan. Puisque Napoléon Ier était revenu de l’île d’Elbe, pourquoi Napoléon III ne reviendrait-il pas d’Angleterre ? Avait-il lié partie pour préparer une restauration impériale, aussitôt qu’il avait été libre ? Je l’ignore ; mais je sais qu’au mois de janvier 1872, à Camden-Place, causant pendant le déjeuner avec Rouher d’une question d’économie ouvrière qui l’intéressait, il dit : « Lorsque je serai revenu à Paris, j’arrangerai cela. » Rouher en était suffoqué et disait : « Il a un tel aplomb, il paraît tellement sûr de son fait, que je finis par en être troublé. »

Il se retrouvait en exil, après sa défaite, ce qu’il avait été toute sa vie. C’était bien le même homme qui, en 1840, reconduit à sa prison, après s’être entendu condamner à la détention perpétuelle, montrait l’uniforme des gendarmes à son avocat et lui disait : « Le collet s’emmanche mal avec l’entournure et doit gêner les mouvements du bras ; plus tard, je modifierai cela », et en effet il le changea. Nul raisonnement ne peut pénétrer ces cerveaux, chez lesquels la rêverie ou la conception prend la vigueur et la persistance d’une idée fixe. Ils s’engagent dans une aventure, sans regarder ni derrière, si sur les côtés ; ils marchent à leur but comme des somnambules, et c’est pourquoi ils réussissent souvent ; car ils déroutent toutes les prévisions.

Je dois à Franceschini Piétri, qui fut secrétaire de Napoléon III aux Tuileries et à Camden-Place, qui l’est encore (1888) de l’impératrice Eugénie, communication d’une lettre que j’ai copiée, dont la signature avait été effacée avec soin. Cette lettre, m’a-t-il dit, a exercé une influence considérable sur un projet qui ne put recevoir exécution. À ma question : « Est-elle d’un homme politique ? » Franceschini répondit, avec un vif accent de franchise : « Non. » Elle est timbrée de La Haye et porte la date du 11 janvier 1872. J’en ai toujours ignoré l’auteur, qui était doué de perspicacité, ainsi qu’on pourra s’en convaincre par les citations suivantes :

« Un deuil de famille m’a contraint d’aller à Paris, où je n’ai pas mis les pieds depuis le mois de juin 1871. J’ai été très frappé de l’effarement des esprits, même les meilleurs. Tout le monde attend quelqu’un, et, parmi les noms que l’on prononce, celui qui revient le plus souvent est celui de Votre Majesté !… On sent que ce qui existe ne peut durer et que