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nous retirer, si votre gouvernement, en ne tenant pas compte des pourparlers de Francfort, ne nous avait, en quelque sorte, contraints à rester chez vous plus longtemps que nous n’aurions voulu. » J’étais fixé ; avec le récit prêté par Dhormoys à Pouyer-Quertier et la confirmation apportée d’emblée par le comte Lehndorf, le doute ne me parut plus possible.

Thiers n’en passa pas moins pour le libérateur du territoire, ainsi que l’a proclamé Gambetta, faisant cause commune avec lui, afin de tenir en échec le gouvernement de Mac-Mahon. Dans le langage familier des hommes politiques de ce temps-là, on eût dit : « Le fou furieux s’est allié au petit serpent à lunettes, au sinistre vieillard, pour combattre l’« idiot providentiel », car c’est par cette dernière injure qu’Émile de Girardin désignait le maréchal duc de Magenta.

Les factions monarchistes s’agitaient dans l’Assemblée et imaginaient toute sorte de combinaisons pour disposer à leur gré de la couronne de la France. C’était la cour du roi Pétaud ; on ne s’y entendait guère au milieu du brouhaha des revendications. Chacun naturellement voulait faire prédominer son parti au détriment de celui des autres ; c’est à qui crierait : Vive le Roi ! d’une façon correcte. Il y avait les purs, les moins purs, les tout à fait purs et les impurs. Les billevesées les plus baroques couraient par les cervelles. Je demandai un jour à M. de Boisgelin, que j’avais rencontré : « Quel est votre idéal politique ? » Il me répondit : « Le gouvernement de Louis XIV exercé par Henri V » ; et il me regarda avec la satisfaction d’un homme qui vient de lancer un trait de génie.

Lorsque à ces pauvres gens l’on parlait d’une Constitution qui serait, une fois de plus, « le pacte fondamental et définitif », ils secouaient la tête et répliquaient : « Que la France se soumette d’abord et reconnaisse les droits imprescriptibles des Bourbons, le roi verra ensuite ce qu’il croira opportun de faire pour elle. » On ne pouvait les tirer de là et ils ne s’en sont pas tirés. Les légitimistes et les orléanistes se faisaient les yeux doux, parce qu’ils comprenaient qu’ils auraient besoin les uns des autres, lors d’un vote possible, mais ils s’exécraient en bons cousins germains qu’ils étaient. Édouard Bocher[1], qui fut le serviteur attentif et le conseiller des

  1. Bocher (Édouard), 1811-1900. Député à l’Assemblée législative de 1849. Administrateur des biens de la famille d’Orléans. Député de 1871 à 1875, sénateur de 1876 à 1891. (N. d. É.)