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le bénéfice, il n’était que correct d’en supporter le préjudice.

Avant d’être mis en librairie, ces volumes furent successivement publiés, chapitre par chapitre, dans la Revue des Deux Mondes, dont j’étais, dont je suis encore un collaborateur fidèle. Le premier article parut le 15 mai 1877 ; la date est à retenir, car il est de tradition dans le monde des assassins et des incendiaires, qui fut celui de la Commune, que mon livre a provoqué les exécutions militaires du camp de Satory, dont la dernière est du 18 novembre 1872 (Herpin Lacroix). J’ai gardé le silence sur bien des faits qui n’étaient point douteux et, parmi les coupables, je n’ai nommé que ceux qui avaient été l’objet d’une instruction judiciaire, ou qui étaient morts pendant la bataille des sept jours, tués comme Delescluze, fusillés comme Raoul Rigault.

Comment donc ai-je été si bien renseigné ? Tous les rapports sur les recours en grâce adressés à la commission parlementaire[1] m’ont été confiés. Voici comment : le secrétaire, ou l’un des secrétaires, de la commission était Félix Voisin, qui, à l’heure où j’écris, est conseiller à la Cour de Cassation. Ancien procureur impérial à Melun, magistrat inaccessible aux influences, méticuleux paperassier, étudiant « les affaires » chez lui, à tête reposée, il avait fait copier les rapports, afin de les examiner à loisir et de pouvoir donner un avis motivé. Il avait conservé les copies exécutées pour lui, il a offert de me les prêter ; j’ai accepté avec une gratitude que l’on peut comprendre. Sans trop de scrupule, j’ai, à mon tour, fait transcrire les plus intéressants de ces rapports ; on les trouvera avec les autres papiers que j’ai déposés à la Bibliothèque de l’Institut et qui forment une masse assez considérable. Félix Voisin m’avait demandé le secret ; je le lui ai gardé et je crois que ce n’est point manquer à ma promesse que de le révéler dans le siècle à venir.

Je prie le lecteur de m’excuser, si je donne tant d’importance à un fait qui m’est exclusivement personnel ; j’ai voulu, du fond de la tombe, protester, au nom de la vérité, contre des imputations d’inexactitude que j’ai systématiquement dédaignées, alors que je contemplais « la douce lumière des cieux » dont les poètes grecs ont parlé ; j’ai voulu aussi affirmer que le livre des Convulsions de Paris s’appuie sur des

  1. L’Assemblée nationale avait désigné un certain nombre de députés pour former une commission parlementaire des grâces. (N. d. É.)