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que lui-même dut se réfugier en Angleterre, tant il redoutait les ressentiments démagogiques ? Cette vision du passé lui apparut-elle, pendant que la population, affolée de joie, ivre d’orgueil, l’acclamait comme le dieu de la Victoire et lui criait : Heil Kaiser !

Pendant que Berlin exultait, que l’Allemagne se préparait à consoler ses armées de n’avoir pu entrer à Paris, en leur faisant une ovation triomphale, la populace parisienne, vêtue du costume de la garde nationale, guidée par des meneurs évadés des estaminets, des bureaux de rédaction du journalisme révolutionnaire, des prisons politiques, allait inaugurer le gouvernement de son choix, c’est-à-dire mettre la civilisation à sac. Le premier acte de ces guerriers à outrance, qui réclamaient les sorties torrentielles et ne sortaient pas, fut de massacrer deux généraux. Il en résulta la Commune, qui, née le samedi 18 mars 1871, sur les buttes de Montmartre, mourut de mort violente sous Belleville, le dimanche 28 mai, après avoir incendié Paris et égorgé les plus honnêtes gens du monde. Peu de dates dans notre histoire auront été aussi funestes que celles-là. De cette aventure, digne de figurer dans le récit des exploits de Cartouche et de Mandrin, je n’ai plus rien à dire, car je l’ai racontée en quatre gros volumes[1].

Jamais on ne pourra se figurer ce que cet ouvrage, où je n’ai dit qu’une partie de ce que je savais, m’a valu d’injures, de médisances et de calomnies. Beaucoup de dénégations, pas une seule rectification ; nulle preuve en effet ne pouvait être produite contre mes assertions, car je n’avais travaillé que sur pièces authentiques. On se récria, on me vilipenda, je restai impassible et je fis bien. On m’engagea à répliquer, je m’en donnai garde ; car tout mon temps eût été pris par des polémiques, et j’estimai que le meilleur moyen de répondre aux communards était de continuer à écrire leur histoire. Des amis trop zélés me poussèrent à traduire les insulteurs devant les tribunaux ; des magistrats m’y incitèrent confidentiellement ; je n’eus même pas à lutter contre moi pour ne pas suivre ces conseils, car je suis, je l’ai déjà dit, résolument partisan de la liberté de la presse. J’en avais

  1. Les Convulsions de Paris (Paris, Hachette, 1878-1880. 4 vol. in-8o). Tome I, Les Prisons pendant la Commune. Tome II, Épisodes de la Commune. Tome III, Les Sauvetages pendant la Commune. Tome IV, La Commune à l’Hôtel de Ville.