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Il ressortait de l’opinion émise par le général Trochu que « le droit » du soldat — dont le devoir est l’obéissance passive — est de choisir son poste de casernement, de combat ou de retraite. Ceux qui, sans prévention, lurent ces lignes et en comprirent la portée, n’en croyaient pas leurs yeux et désespérèrent du salut.

La première proclamation du gouverneur se terminait par une de ces phrases emphatiques et sans signification précise qui lui étaient familières. « Pour accomplir mon œuvre, après laquelle je rentrerai dans l’obscurité d’où je sors, j’adopte une des vieilles devises de la province de Bretagne où je suis né : « Avec l’aide de Dieu, pour la Patrie ! » Quelques bons citoyens ne purent rester insensibles à tant d’éloquence et ils fabriquèrent une réponse que les journaux n’eurent point l’esprit de laisser inédite : « Nous sommes prêts à prouver à la Prusse et à l’Europe qu’une longue compression morale, jointe au déchaînement des intérêts matériels, n’a point ramolli radicalement les mœurs publiques et la vitalité du pays. » C’était signé par des chapeliers, des orfèvres, des bijoutiers, des passementiers, tous braves gens qui n’avaient pas eu à se plaindre du « déchaînement » des intérêts matériels et qui sans doute avaient mis du temps à la confection de leur adresse, car elle ne parut que le 23 août, cinq jours après la proclamation à laquelle leur devoir ou leur droit les avait forcés de riposter.

En guise de péroraison, ils prenaient des engagements qu’ils oublièrent dans la journée du 18 mars 1871. « S’il est vrai, disaient-ils, qu’il se rencontre toujours des gredins qui n’aperçoivent dans les malheurs publics qu’une occasion de satisfaire des appétits détestables, de ceux-là, ne vous préoccupez pas, général, nous en faisons notre affaire. » Avec le ministère Palikao, le Corps législatif prenait une part active au gouvernement ; avec le général Trochu et sa force morale, le peuple, la rue, comme il le disait lui-même, devenait avocat consultant et avocat écouté, pour ne pas dire obéi. Or la guerre, et surtout la guerre pour repousser une invasion, ne peut se faire qu’avec un commandement unique dont la voix parle dans le silence et sans éveiller d’écho, c’est-à-dire avec la dictature. Le général Trochu semble avoir toujours ignoré que l’on demande à un chef d’armée des actes et non des paroles, des faits et non des proclamations.