pas et que l’on pouvait compter sur lui ; mais, actuellement, il convient d’attendre, de permettre à l’Assemblée de se reconnaître et de donner au pays le temps de manifester sa volonté. Ainsi fut fait ; les Orléans ont récupéré leurs biens ; mais, à l’heure où j’écris ces lignes, le comte de Paris et le duc d’Aumale sont en exil. Au mois de février 1871, la France, découragée, ne voulant plus de l’Empire, ne croyant pas à la République, allait au-devant d’eux et leur demandait son salut. Je suis persuadé que, s’ils n’avaient pas soulevé cette misérable question de gros sous, ils seraient actuellement sur le trône, à moins qu’une révolution ne les en eût encore chassés.
Le 21 décembre 1872, j’allai déjeuner chez Archdeacon, qui habite l’ancienne maison de Morny, que l’on appelait « la niche à Fidèle ». Ernest Picard, qui avait été camarade d’Archdeacon au collège Rollin, était assis à table, à côté de moi. Je l’avais rencontré jadis par-ci par-là, et nous nous connaissions. Tout en bavardant de choses et d’autres, je lui dis : « Allez-vous faire bonne besogne aujourd’hui à l’Assemblée ? » Il me répondit : « Nous allons donner aux Orléans un argent qu’on ne leur doit pas, afin de nous en débarrasser pour toujours. » Il avait dit cela avec son air goguenard. Je ripostai : « Si, pour aider à payer l’indemnité de guerre, ils offraient les millions qu’on va leur restituer, avouez que ce serait vous jouer un bon tour. » Il répliqua : « Ce n’est pas à craindre ; si cette idée venait à l’un d’eux, les autres le feraient mettre à Charenton. » Le soir, Thiers, se frottant les mains, disait : « Je les ai cousus dans un sac d’écus, ils n’en sortiront pas. » En effet, ils n’en sont point sortis.
Le duc d’Aumale ne fut donc pas lieutenant général du royaume, mais il fut successeur du comte de Montalembert à l’Académie française ; c’est plus modeste. Il eut l’honneur d’être reçu, en séance solennelle, par Cuvillier-Fleury[1], qui avait été son précepteur. Maigre compensation pour celui qui aurait pu, avec quelque initiative et plus de désintéressement, placer la couronne sur la tête de son neveu, ou peut-être bien s’en coiffer lui-même.
- ↑ Cuvillier-Fleury (1802-1887). Homme de lettres. Secrétaire de Louis Bonaparte, précepteur du duc d’Aumale en 1827, il entra au Journal des Débats en 1834 et à l’Académie française en 1866. (N. d. É.)