Le sens des élections parut fort clair alors ; mais il semble que le gouvernement et l’Assemblée nationale ne l’aient point compris. Plus tard, à distance historique, on portera un jugement impartial sur des faits que nous voyons mal, précisément parce que, se produisant autour de nous, ils sont déformés par des passions individuelles et des intérêts contradictoires. Les haines étaient encore trop vivaces, les ressentiments trop aigus, les matériaux des constructions possibles étaient trop dispersés ; on ne sut, on ne put rien fonder ; trop de revendications mesquines tenaient les esprits en défiance ; l’union entrevue, prescrite par les élections, se changea en divisions multiples. Tant que siégea cette assemblée, « élue dans un jour de malheur », — le mot a été prononcé, — on y joua la tragédie des frères ennemis.
Le résultat des élections trompa toutes les prévisions. On s’était attendu à voir arriver à l’Assemblée nationale un nombre à peu près égal de bonapartistes et de républicains, entre lesquels se seraient glissés quelques monarchistes. On fut donc très surpris, lorsque l’on distribua les sept cent trente-six nouveaux élus en catégories correspondant à leur opinion, de constater que les tendances monarchiques étaient représentées par six cent cinquante-deux députés. Toute combinaison fut déjouée et l’on s’attendit d’autant mieux à une prochaine restauration que M. Thiers, adversaire traditionnel de la République, partisan de l’orléanisme, devenait chef du pouvoir, par ce seul fait que le choix de vingt-six départements imposait son autorité à l’Assemblée, à l’Assemblée des « ruraux », ainsi que les radicaux la nommaient déjà avec dédain, et surtout avec dépit.
Des premiers conciliabules des députés entre eux, il ressortit très nettement que la majorité visait la reconstitution de la monarchie, mais sans vouloir, dans de si critiques circonstances, en préjuger la forme, ni en déterminer les prérogatives. Pour mieux affirmer le principe, tout en réservant la future constitution et le futur titulaire de la royauté, on s’entendit à voix basse, avec un mystère qui fut rapidement dévoilé, pour nommer le duc d’Aumale lieutenant général du royaume. De cette façon, on lui confiait l’exercice du pouvoir royal, dont il n’était que le dépositaire, jusqu’au jour où il aurait, sur l’injonction de l’Assemblée, à le remettre au maître désigné par un vote. C’était un subterfuge, mais qui ne renversait aucun projet, ne déran-