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d’un homme ivre d’autorité et se plaçant au-dessus des lois. « Il n’y a pas de tyrannie plus effrénée que celle des petits tyrans », a dit Machiavel.

En présence des prétentions de Gambetta à scinder le pays en deux et à en rejeter une partie hors de la représentation législative, pour cause d’indignité, Bismarck fit connaître sans ménagement ce qu’il en pensait et ce qui en résulterait. La dépêche n’autorise aucun doute d’interprétation :

« Versailles, 7 février 1871, 6 heures 40 min. soir. À M. Léon Gambetta — Bordeaux. Au nom de la liberté des élections stipulée par la convention d’armistice, je proteste contre les dispositions émanées en votre nom (sic) pour priver d’être élus à l’Assemblée des catégories nombreuses de citoyens français. Des élections faites sous un régime d’oppression arbitraire ne pourront point conférer les droits que la convention d’armistice reconnaît aux députés librement élus. Bismarck. »

Le Chancelier de l’Empire allemand rappelant au respect de la liberté électorale Gambetta, qui, pendant la durée du Second Empire, n’avait pas eu assez de tonnerres dans son éloquence pour foudroyer les candidatures officielles, c’est un incident d’histoire que le suffrage universel n’avait point prévu.

Gambetta regimba. Il fit placarder la dépêche venue de Versailles et la fit suivre d’une proclamation où il dénonçait « les complices et les partisans du régime déchu » comme « les alliés de M. de Bismarck » ; et il ajoutait : « L’insolente prétention qu’affiche le ministre prussien d’intervenir dans la Constitution de la France nous impose plus que jamais un devoir ; dans ces circonstances, le gouvernement de Bordeaux croit devoir maintenir son décret. » Sunt verba et voces, prætereaque nihil. Malgré l’emphase de l’expression, la raideur de la résolution semble près de s’amollir ; certaine atténuation fait comprendre qu’on ne lutte plus que pour paraître lutter encore. « Le gouvernement de Bordeaux croit devoir maintenir son décret. » Ce n’est point ainsi que l’on parlait, le 3 février, lorsqu’on lançait le décret d’exclusion.

Le gouvernement de Paris était inquiet de l’attitude de celui de Bordeaux, et surtout il en était irrité ; on s’exprimait avec peu de modération sur le compte du dictateur, que l’on traitait de factieux et même de dangereux imbécile. Jules