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put se méprendre sur son opinion, car il n’essaya guère de la dissimuler : « Il faut agir et agir au plus tôt, se débarrasser de la bande révolutionnaire qui nous menace et n’attend que l’heure propice pour renverser le gouvernement. C’est un second 2-Décembre qu’il faut faire et j’y suis prêt. J’en accepte la responsabilité et je réussirai ; puis, nous nommerons des plénipotentiaires pour traiter de la paix et nous y serons aidés par les neutres, qui ne se soucient pas de voir grandir une Allemagne trop puissante. Je ne suis qu’un homme d’aventure, je le sais, et c’est pourquoi je parle ainsi. Toute heure perdue fortifie nos adversaires ; n’attendez pas ; plus tard, il sera trop tard, et quand vous voudrez ressaisir le pouvoir que l’on vous arrache, il ne sera plus temps, car vos instruments de résistance seront tellement affaiblis qu’ils ne seront bons à rien. »

Si cette motion avait été faite par Jérôme David, Henri Chevreau, Piétri ou Palikao, il est bien probable qu’elle eût été adoptée par le Conseil des ministres ; mais formulée par Clément Duvernois, dont l’on se méfiait, que l’on soupçonnait, à tort ou à raison, de n’obéir qu’aux visées de sa propre ambition, elle fut accueillie par un silence glacial, qui équivalait à un refus. Sept ministres étaient pour l’abstention ; un se déclarait prêt à obéir ; un autre et le préfet de Police consentaient à une action conditionnelle ; un seul demandait l’action immédiate. La solution se trouvait donc ajournée ; en langage politique, on sait ce que cela veut dire ; on renonçait à toute mesure illégale et l’on s’en fiait à la bonne fortune du hasard, qui depuis longtemps déjà s’était détournée de l’Empire.

Je crois qu’il est heureux que ce projet n’ait point été mis à exécution. Avait-il quelque chance de réussir ? Je n’en sais rien, car à Paris tout est possible ; mais quand bien même on eût supprimé des députés révolutionnaires, des chefs d’émeute et des journalistes résolument hostiles, on n’eût obtenu qu’un succès éphémère, qui eût rendu la chute plus cruelle encore et la désorganisation plus profonde. La capitulation de Sedan, la captivité de Napoléon III n’en auraient pas moins exaspéré Paris et bousculé le trône. C’était sur les champs de bataille, bien plus que dans le mauvais vouloir de la population parisienne, que résidaient les causes d’une révolution. Une victoire eût tout sauvé ; une défaite devait tout perdre.