Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait, sous aucun prétexte, stipuler pour le reste du territoire français. Des communications secrètes avaient averti le Conseil des intentions du chef de la délégation ; on en était fort troublé ; outre les dangers que l’on voulait éviter à un pays épuisé qui, depuis sept mois, se démenait de défaite en défaite, on voyait Gambetta tirer toute la popularité à soi et cela ne se pouvait supporter. Ce fut un homme d’apparence très douce, ce fut le mielleux Jules Simon qui réclama, qui reçut la mission d’aller mettre le dictateur à la raison et, au besoin, de le faire « empoigner », conduire en lieu sûr, au secret, derrière des portes solides, bien verrouillées et gardées par des factionnaires. Il partit, muni de pleins pouvoirs et décidé à agir énergiquement ; cela ne fut pas nécessaire. Bismarck était intervenu et avait mis le holà. L’épisode est intéressant et vaut que l’on s’y arrête.

L’armistice fut signé le 28 janvier ; il était temps ! Paris n’avait plus de vivres que pour deux jours. Le 31, Gambetta lâche deux proclamations furibondes ; il ordonne aux préfets de préparer la résistance ; il adjure la nation française de faire de nouveaux efforts, des efforts désespérés, et de continuer la lutte jusqu’à complet épuisement : il ne tolère pas que le mot d’armistice soit prononcé : « Non, il ne se trouvera pas un Français pour signer ce pacte infâme… Aux armes ! Aux armes ! Vive la France ! Vive la République une et indivisible ! » Dans la population de Paris, on ne s’étonna guère — on ne s’étonnait plus ; on leva les épaules, en disant : « Il est fou. »

Le résultat immédiat de ce nouvel appel aux batailles fut au préjudice de Paris. Les Allemands refusèrent d’y laisser entrer les provisions accumulées dans différentes villes pour porter secours à la famine. Le 2 février, j’étais à Saint-Germain, où cent cinquante mille kilogrammes de farine avaient été réunis. Plus de cent camions de chemin de fer étaient arrivés, prêts à les emporter vers la pauvre ville qui les attendait avec plus que de l’impatience ; les voitures furent renvoyées à vide et pas une pincée de froment ne fut livrée. C’est donc encore sur le groupe des femmes, des enfants, des impotents, des infirmes, des vieillards que retomba le châtiment des fautes d’un dictateur affolé.

Un de mes amis, beaucoup plus jeune que moi, nommé Du Buit, actuellement avocat, membre du Conseil de l’Ordre,